5375 - Le portrait d’Anastasie
N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras
Anastasie : Où m’asseoir ? Il lui montre une chaise vide. Comment voulez-vous que je vous regarde. Elle voit son regard et sourit. Comme ça donc… Vous avez souri… J’ai peut-être trouvé ma place… Et que dois-je faire ? Rien ? Mais comment est-ce possible… Elle essaie de rester silencieuse mais quand elle voit sa grimace… Qu’est-ce que j’ai fait ? Dites-moi… Pardon mais je ne sais pas quoi faire… Habituellement les hommes veulent que je leur fasse quelque chose mais vous. Elle attend une réponse. Bon, vous êtes en effet différent. Pause. C’est la première fois que quelqu’un me donne de l’importance… C’est étrange la façon dont vous me regardez… Silence… Non, non je ne le dis pas mal… J’entendais par là… Je voudrais bien savoir ce que j’entends… Peut-être que c’est moi qui suis bizarre… Et vous n’avez rien dit encore… Mais je le vois que je vous fais de la peine… Non ? Très bien. Pause Je ne le voudrais pour rien au monde… Peut-être que ça vous ennuie que je parle continuellement ? Silence. Vous êtes très gentil… ou peut-être… comment le dire… humain, trop humain… C’est la première fois qu’on me donne de l’argent pour ne rien faire et m’asseoir… Je me demande si je vous plais… Oui je sais, mon visage… Non ? Vous avez souri à nouveau. Quelque chose vous plait peut-être… Je m’en réjouis beaucoup… Si vous ne réussissez pas à me faire belle, ne vous préoccupez pas, vous avez au moins réussi à me rendre heureuse… Non, je dis la vérité… Je vous le promets…Vous savez que ça fait des années que je n’ai promis la moindre chose à quelqu’un… Elle le regarde à nouveau plus intensément encore. Vous avez… Je ne sais pas comment le traduire…Vous avez vu la mort de près… Je le sens… Votre regard a la nostalgie de la vie. Vous aurez le temps de le finir ? Si vous n’avez pas le temps, ça ne fait rien… Je suis déjà contente que vous m’ayez trouvée et que vous ayez pensé à moi. C’est déjà très important pour moi…Vous ne pouvez pas l’imaginer… Je parle beaucoup… ça me gêne. D’habitude je ne dis rien. Il n’y a pas de raison… Mais vous, vous écoutez aussi mon silence… Silence. Oui, oui, c’est ça ! J’ai trouvé finalement…Vous écoutez aussi le silence des hommes dans le brouhaha de la société. Comme je me réjouis que vous existiez… Non, non, je n’exagère pas… Et je ne dis pas de mensonges. S’il vous plait ne pleurez pas, ce n’est pas juste. Je sais que vous pleurez pour moi. Mais je vivrai pour ne pas oublier. Maintenant je sais que grâce à vous j’existerai moi aussi dans l’humanité. Silence.
Merci Monsieur. Merci d’exister pour moi.