6789 - La femme du livre
N. Lygeros
Deux heures trente cinq plus tard, en hommage à Kirilov, la femme revient avec le livre à la main. C’est du moins ce que nous pensons au début de la scène. Cette fois, elle va directement s’asseoir sur le banc au côté du mendiant qui n’a pas bougé.
Femme : J’ai lu votre livre
Mendiant : Je l’imagine.
Femme : Pourquoi donc ?
Mendiant : Sinon, vous ne seriez pas ici…
Femme : C’est bien vu. Un temps. Je vois que vous lisez un autre livre.
Mendiant : Pas tout à fait…
Femme : Comment ?
Le mendiant lui montre un crayon.
Mendiant : C’est simplement mon carnet…
Femme : Vous ne vous contentez pas seulement de lire.
Mendiant : Je pense à la lecture des autres.
Femme : Vous en parlez comme de commandes ?
Mendiant : Je mendie les commandes.
Femme : C’est tout ce que les gens vous donnent ?
Mendiant : Seulement les amis.
Femme : Vous êtes si seul ici… Je ne pensais pas que vous aviez des amis.
Mendiant : Je ne suis pas seul ici, les arbres…
Femme : Les arbres ?
Mendiant : Ce sont les hommes immobiles. Un temps. Quant aux amis…
Femme : Ainsi vous en avez !
Mendiant : Il le faut bien…
Femme : Je ne vois pas…
Mendiant : Sans commandes, comment créer pour les autres ?
Femme : Créer pour les autres ?
Mendiant : Les autres appartiennent à l’humanité.
Femme : Et nous ?
Mendiant : Ici, l’humanité, c’est nous.
Femme : Alors, écrivez quelque chose pour moi.
Mendiant : Passez-vous une commande ?
Femme : C’est une manière comme une autre de devenir votre amie.
Mendiant : Quel est donc votre souhait ?
Femme : Vous parlez comme un génie.
Mendiant : Sans lampe.
Femme : Je voudrais juste lire ce que vous écrivez, par-dessus votre épaule.
Le mendiant recommence à écrire.