Dès le matin, il eut l’idée de la toile de verre. Il voulait peindre un tableau vivant qui soit immédiatement visible de l’autre côté. La toile ne pouvait être en coton et encore moins en lin. Il fallait aller au-delà et la seule solution était le verre car sa transparence était essentielle à sa création. Il se plaça en face de la toile de verre, en imaginant de l’autre côté une personne en train d’attendre l’apparition de l’œuvre. Il prit son pinceau dans la main comme un chevalier prenant son épée. Ses premiers mouvements étaient pour ainsi dire invisibles. Le temps ne s’était pas arrêté mais sa dilatation était impressionnante. Il était possible désormais de voir chacun de ses gestes et de contempler le moindre des détails. Le tableau se créait devant les yeux de la personne. C’était une nature vivante qui s’exprimait dans ce ralenti temporel qui offrait la possibilité de percevoir cette calligraphie corporelle. Aussi l’essence apparut sur la toile de verre grâce à la puissance du geste qui continuait imperturbablement sa mission jusqu’à l’achèvement du tableau signé par la main du Maître.