3180 - Point d’orgue
N. Lygeros
Le spectacle dans la crypte ne manquait pas de piquant. Un érudit spécialiste du code de la chevalerie s’apprêtait à examiner des chevaliers sans monture et sans armure. Lui qui se demandait toujours ce que pensaient ces hommes à travers cette vue si étroite, était à présent totalement désarmé. Il connaissait les moindres détails de l’armet des cavaliers. Combien de fois il avait manipulé dans les musées toutes ses pièces : la crête, le timbre, le frontal, le nasal, le ventail, la mentonnière et le gorgerin. Aucune d’entre elles n’avait de secret pour lui. Pourtant dans cette crypte, il ne pouvait démasquer ces cinq visages sans masque. Il pensa un instant que c’était sans doute là que se trouvait la grandeur de l’enseignement du chevalier sans armure. Toujours à découvert, il perçait à jour les autres qui devaient se cacher pour ne pas montrer leur petitesse. Ces hommes n’avaient rien à cacher. Ils étaient là dans un but précis. C’était à lui qu’il revenait de le découvrir. Il s’agissait donc de découvrir un autre code de chevalerie qui n’était pas dénué de noblesse malgré le dénuement de ces preux chevaliers. Le problème pour lui, c’était de répertorier leur ordre. Sans y prendre garde, il commença son énumération. Ils n’appartenaient pas à l’ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, ni à l’ordre souverain militaire et hospitalier de Saint Jean de Jérusalem, de Rhodes ou de Malte, pas même à l’ordre du Temple. Non, ces hommes n’avaient aucune caractéristique de ces ordres. Néanmoins, il était évident qu’ils étaient étrangers. Le plus surprenant ce n’était pas cela car les codex ne mentaient pas et ils étaient tous différents quant à leur titre. L’érudit pensa même que ces hommes n’avaient que ces titres de noblesse. Le plus étrange c’était qu’ils n’étaient pas de la même époque. Il semblait que ces hommes n’avaient pas vécu dans la même période. Ils appartenaient à différentes contrées certes mais de différentes époques, c’était tout de même impensable. Même l’érudition avait des limites dans l’imagination. Il avait en face de lui des hommes qui appartenaient à une sorte de légion – c’était le seul mot qui lui était venu à l’esprit – étrangère temporelle. Ils s’étaient retrouvés ensemble dans cette crypte. Unis dans la mort, les gisants demeuraient insensibles à ces réflexions. L’érudit n’avait pas encore touché le concept d’humanité. Trop obnubilé par ses idées de savant, il avait oublié d’être un homme et il était resté silencieux pour les gisants. Même l’érudition avait ses limites. Incompétent à comprendre ces hommes, l’érudit ne savait plus que faire. Il s’assit au milieu des gisants, malheureux. Il aurait voulu aider ces hommes qu’il admirait mais il était impuissant. Ce fut précisément à cet instant qu’il entendit pour la première fois, leur point d’orgue.