4663 - Sur le dragon de fer
N. Lygeros
La légende du dragon de fer était inconnue hors de la terre des pierres. Il faut dire que sans avoir vécu dans ce pays, cette légende devenait incompréhensible. Comment un dragon de fer pouvait-il porter une croix de bois. Les religions avaient la mémoire courte et tout disparaissait dans la légende des siècles, dans la mythologie des hommes oubliés. Cependant la présence du dragon de fer était encore perceptible de nos jours. Comme si elle avait été enclavée dans notre mémoire. Certes la plupart d’entre nous ne connaissait plus la véritable signification du dragon de fer. Après tout, cela n’avait pas vraiment d’importance, tant que le souvenir du dragon existait. La croix, le souvenir n’étaient que des mots, mais ils sonnaient juste. Assez pour être entendus dans le bruit de la société. Ils étaient puissants comme le silence. Comment pouvait-il en être autrement puisque le dragon de fer avait toujours été silencieux. Même les tortures n’étaient pas venues à bout de sa résistance. Elles avaient tenté de le briser, mais en vain. Il était, pour ainsi dire, incassable. Aucune explication n’avait été trouvée à ce sujet. C’était comme si le dragon de fer venait d’un autre temps. Bien avant le génocide des siens. À moins que ce ne soit le contraire et que ce ne soit son œuvre qui ait conduit à rechercher le commencement de l’horreur et le moyen de la réparer. Son humanité avait toujours été suspecte pour la société. Humain, trop humain pour elle. Il était capable de souffrir pour plus d’un million d’hommes, aussi cela était insupportable pour elle. Elle aurait aimé qu’il ne puisse dépasser un seuil de douleur. Et pourtant il était le contre-exemple de ce dogme social. Certains y voyaient là, la preuve de sa relation avec les légendaires lettres de fer mais rien n’est moins sûr. Ce qui était certain, c’était son emprise sur les hommes. Il était capable de donner du courage même dans les pires moments, même lorsqu’il n’existait plus aucun espoir. Personne n’avait jamais su où il trouvait cette source de courage. La nécessité suffisait-elle? Qu’importe après tout, l’essentiel était ailleurs. Pourquoi toutes ces questions sur l’être puisque l’œuvre existait. L’histoire n’était pas morte. Pas plus que Dieu malgré l’horreur du génocide. Les hommes de la terre des pierres continuaient à créer malgré la barbarie et l’oubli. Les sociétés pouvaient nier ce qu’elles voulaient, le dragon de fer montrait l’œuvre de l’existence et surtout l’existence de l’œuvre. Tout n’était pas permis, cela était certain désormais. Et il en était ainsi pour le crime contre l’humanité. Il ne s’agissait pas seulement de dire qu’il était imprescriptible, ce qui était vrai, il fallait désormais affirmer haut et fort que personne ou plus exactement aucun homme n’accepterait l’intolérable. Ce n’étaient plus des rêveries d’un promeneur solitaire, pas plus qu’un conte philosophique mais un véritable credo. Tel était l’apport du dragon de fer, telle était la contribution de l’arménité à l’évolution de l’humanité.