626 - Les gorges de la mémoire (2)
N. Lygeros
Traduit du Grec par l'auteur
Le maître ne parla pas. Il vivait dans le silence. Et son disciple comprit qu’il voulait lui dire quelque chose d’important. C’était toujours ainsi quand c’était nécessaire. Seulement maintenant il ne savait pas quel était le sujet de la leçon. Il savait uniquement que son maître avait passé une nuit blanche. Sa bougie coulait de nuit et ses livres étaient ouverts sur le monde. Pourtant il remarqua quelques gravures inconnues sous les livres. C’était la première fois qu’il les voyait dans la maison de son maître. Quand celui-ci le regarda dans les yeux, il sentit sur lui les tortures de la nuit et ses yeux s’embuèrent. Pourtant il ne pleura pas, il était grand désormais, il n’en avait pas le droit. Il s’approcha de son maître et toucha sa douleur sans rien dire. Il était assis les bras croisés, immobile. Les affres de la nuit l’avaient paralysé. Il ne pouvait plus lever le poids de sa grande âme. Cette nuit il apprit la nécessité du silence. Son disciple le regardait attentivement. Il voulait l’aider mais il ne savait comment. A un moment le maître étendit sa main et après de nombreux efforts il réussit à la maintenir au-dessus de la tête de son disciple. Il devait apprendre ce qui s’était passé mais comment le lui dire sans le blesser ? Alors son disciple lui prit la main, la baisa et le pope comprit qu’il était prêt. Dieu était avec eux. Même là-bas dans les gorges du monde. Il avait échappé aux autres. Cette nuit les rêves devinrent souvenirs et la pluie, larmes. Il ne supporta pas la douleur de l’oubli et blessa sa mémoire. Dans ces gorges s’était éteint son ami, le voleur, l’imprenable. Les siens l’avaient livré aux Turcs. Depuis de nombreuses années, il récoltait des informations sur sa mort et quand il vit les gravures il comprit. Cependant les barbares l’apprirent, vinrent à la nuit et s’emparèrent de lui. Ils le torturèrent sous la lune. Et à l’aube ils lui tranchèrent la langue. Il ne devait pas parler.