771 - Des bases conceptuelles à l’édifice mental
N. Lygeros
Nous avions traité, dans un précédent article, du problème de la masse critique d’une oeuvre donnée. Ici nous allons examiner formellement les parties clefs qui relient les bases conceptuelles à l’édifice mental que représente l’oeuvre.
Pour un penseur, il s’agit pour ainsi dire d’un truisme que d’affirmer son lien avec d’autres penseurs pour établir ces bases conceptuelles. Comme l’a dit Newton dans une phrase célèbre nous ne sommes que des nains sur des épaules de géants. Ainsi le choix de ces géants est primordial pour le nain qui est amené à conceptualiser le monde. Ce choix peut être historique ou même irrationnel dans la plupart des cas mais parfois même si cela est exceptionnel il peut être le fruit d’une réflexion que nous pourrions qualifier de méta-stratégique. Sans douter que cette possibilité puisse difficilement convaincre un lecteur assidu et sceptique malgré tout son existence même mérite réflexion. Si le choix des géants est effectué selon des critères cognitifs il est bien sûr vraisemblable qu’il sera plus puissant mais aussi plus conscient de ses faiblesses structurelles. Même si ce dernier point peut sembler être un inconvénient, nous l’interprétons pour notre part comme un théorème d’incomplétude qui suggère des degrés de liberté au niveau des possibilités de réalisations. Nous pouvons même affirmer que cela suit le paradigme de la structure ouverte que nous avons mis en évidence en effectuant une abduction créative sur une idée initiale de Eco.
Dans ce cadre, les bases conceptuelles sont considérées comme les constituants d’un noyau dur, d’une structure globale fluide évolutive. A l’instar d’un noyau, il peut évidemment être préconfiguré mais il demeure l’élément de référence dans l’édifice mental. Architecturalement, son concept est similaire aux fondations et non aux clefs de voûte. Il n’est pas nécessaire aux développements ultérieurs de la structure mais il est nécessaire à son existence. A partir de ce noyau plusieurs possibilités combinatoires sont offertes pour l’érection de l’édifice mental. L’étude extensive d’un penseur donné afin de transformer l’amer qu’il représente en phare est une possibilité de profondeur et elle doit être préconisée lorsque ce dernier semble multi-accessible. Elle doit être aussi complétée par une étude comparative avec un autre penseur qui permet grâce aux recoupements intellectuels de ne pas échouer dans une impasse cognitive. Il ne faut tenter de dépasser le penseur que lorsque son cheminement semble être une voie. Sinon, le dépassement n’est qu’un moyen d’expliciter l’échec ultérieur de sa conception. Et c’est en ce sens que le retour est indispensable puisqu’il permet d’évaluer avec justesse les conditions initiales tout en tenant compte des évolutions conceptuelles qui résulte de l’édifice mental.
Néanmoins avec l’évolution de l’oeuvre et l’apparition de leitmotiv, le noyau s’enrichit et n’est plus seulement constitué des éléments de base. Il a désormais des extensions stables qui donnent corps à la structure fluide via le phénomène de cristallisation. C’est ainsi que se développe l’armature de l’oeuvre complète qui sans être nécessairement perfectible n’en demeure pas moins crédible auprès des autres penseurs. Après avoir dépassé sa masse critique elle déborde sur le monde en transformant le corpus mental en réalisation effective. Cette dernière agit via les schémas mentaux élaborés au sein de la structure et modifie peu à peu à travers le dogme lexical l’interprétation du monde.
Même si l’objectif demeure avant tout intellectuel, cela ne modifie en rien son approche concrète puisque via une phase médiologique qui s’appuie cette fois sur les points clefs et la spécification de cibles de choix, l’oeuvre absorbe de la matière concrète afin de la conceptualiser et d’en faire une création propre et intrinsèque. Sa puissance de transformation provient néanmoins de la résistance et de la robustesse du noyau car au cours de l’évolution de la structure les attaques ne cessent de grandir puisque l’effet de bord est plus important en raison de l’impact de l’oeuvre sur le monde.