778 - Le navire de pierre
N. Lygeros
Dans cette première croisée de sa tendre enfance, il chercha en vain et ce durant des années comment gravir les marches des escaliers. Sans savoir, où ils menaient il était attiré par la bifurcation qu’ils composaient. Il avait alors du mal à gravir les marches de cette vie qui ne connaissait pas encore la mort mais il aimait déjà ces escaliers de la mémoire. L’ensemble central des maisons semblait avoir été posé après coup et pourtant il était bien antérieur. Il s’avançait sur cette descente tel un navire qui déchire les vagues pour traverser l’océan de l’inconnu. Mais ici la mer était de pierre. Sa patine brillait comme ces galets mouillés par l’écume. Ce n’est que bien après qu’il avait découvert qu’il s’agissait de la couleur du temps. La proue du navire de pierre s’était gravée dans sa mémoire et depuis il marchait dans les ruelles tel un loup des pierres. Avec le temps, il avait fini par trouver comment emprunter les deux ascensions mais il ne confia à personne son secret d’antan. Sur la petite place que formait le débordement des escaliers, il se posa quelques instants qui ne cessèrent qu’après plusieurs heures de réflexion. Tout était là. Tout le ramenait à cela. Comme si tout avait été offert dès le commencement. Combien de traces portait sur elle cette petite place, il ne le savait mais il était certain que les siennes s’y trouvaient. Alors il se releva et marcha à nouveau dans les traces du passé. La croisée changea de couleur. Elle devint le dessein. Elle devint le but. Sur cette ancienne gravure, il se tint immobile, sans doute par respect. Nul sentiment de crainte ne l’avait envahi et pourtant c’était ici qu’il avait vécu ses années de guerre. Sur cette petite place, s’étaient amoncelés des souvenirs. Tout avait existé et l’attendait à jamais. Il était revenu comme s’il ne devait plus jamais repartir. Les occupants l’avaient privé de ses moments de nostalgie et cela il ne pouvait leur pardonner. Sa maison était devenue un désert, mais ce désert l’attendait comme un autre avait attendu le Christ. A présent qu’il était à nouveau ici, après ces années d’efforts et de souffrance, il comprit que c’était son heure. D’autres auraient pu dire qu’il était heureux mais lui savait que c’était impossible. Il devait traverser la croisée. Les deux ascensions l’attendaient. Elles ne pouvaient plus attendre. Alors il gravit les marches de la croisée. C’était ainsi qu’il était monté sur la croix.