941 - Le baiser et la larme
N. Lygeros
Traduit du Grec par A.-M. Bras
Alexandre
Que me voulais-tu ?
Irène
Je voulais qu’on se rencontre …
Alexandre
Pourquoi ?
Irène
Toi, ils ne feront pas attention à toi.
Alexandre
Qui ne fera pas attention à moi ?
Irène
Seul Dieu pense à toi !
Alexandre
Et ma grand-mère !
Irène
Oui, mon chéri, tu as raison … ta grand-mère aussi …
Alexandre
Alors dis-moi ! (Un temps.)
Irène, hésitante.
Tu sais ce qu’est une icône ?
Alexandre
Ma grand-mère en a beaucoup.
Irène
Mais elle, elle est unique.
Alexandre
Je croyais qu’elles étaient toutes uniques.
Irène
Oui c’est vrai. (Un temps.) Elle, est différente (Un temps.)
Elle est de Constantinople.
Alexandre
De Constantinople ?
Irène
C’est une petite copie de la grande …
Alexandre
Mais alors, elle n’est pas unique …
Irène
Seulement c’est elle qu’ils cherchent !
Alexandre
Qui ?
Irène
Les haches de la lune.
Alexandre
Je ne te comprends pas …
Irène
Ca ne fait rien … C’est important que tu conserves cette icône avec toi.
(Irène donne une petite icône à l’enfant. Alexandre la regarde.)
Alexandre
Elle est étrange … (Un temps.)
C’est la première fois que j’en vois une comme ça.
Irène
C’est cela que je voulais te dire.
(Le petit regarde à nouveau l’icône et l’embrasse.)
Irène
Non, il ne faut pas !
Alexandre
Mais la Sainte Vierge aussi embrasse le Christ !
Irène
La Sainte Vierge, c’est autre chose.
Alexandre
Moi aussi je l’aime.
Irène
Quel rapport cela a-t-il avec le baiser ?
Alexandre
Quand on aime quelqu’un, dit Grand-mère, il faut souffrir pour lui.
(Il penche la tête.)
Irène
Pardon, Alexandre, je ne voulais pas te blesser.
Alexandre
Elle, elle sait qu’il va mourir.
(Un temps.) (Le petit Alexandre pleure.)
Irène
N’oublie pas ! Tu ne dois la montrer à personne !
Alexandre
(Il essuie ses larmes avec sa manche.)
D’accord !
(Un temps.)
Je sais où je vais la cacher.
Irène
Ne me le dis pas ! Je ne dois pas le savoir !
Alexandre
Je ne le dirai à personne !
(Il laisse l’icône sur la table.)
Irène
Sauf à l’inconnu …
(Un temps.)
Alexandre
Qui est l’inconnu ?
Irène
Tu l’apprendras bientôt … (Un temps.) Tous l’attendent.
Alexandre
Bon.
Irène
C’est curieux que ta grand-mère ne te l’ait pas dit … (Un temps.)
Sauf si … (Un temps.)
Ah, j’ai compris maintenant. Elle t’a demandé de ne rien dire …
Elle a raison, c’est notre secret.
Alexandre
L’inconnu sait pour l’icône ?
(Il la montre.)
Irène
Oui. (Silence.) C’est la raison de sa venue.
Alexandre
Il vient de loin ?
Irène
Il faut que je parte maintenant …
Alexandre
Tu n’as pas répondu !
Irène
N’oublie pas ! A personne !
Alexandre
Je n’oublierai pas, je ne veux pas que tu meures.
Irène
Ah, cette grand-mère ! Elle t’a appris beaucoup de choses et tu es si petit.
Alexandre
Je ne suis plus petit.
(Irène le serre contre elle et le soulève. Le petit Alexandre lui aussi l’étreint. Il lui donne un baiser dans le cou et pleure en regardant l’icône posée sur la table.)