996 - Le temps du souffle d’un soupir
N. Lygeros
Il aurait pu être coiffeur mais le sort en avait décidé autrement. Il n’avait pas pu réaliser ses rêves et pourtant il avait très peu d’imagination. C’était d’ailleurs pour cela qu’il s’était retrouvé dans cet étrange endroit. Il n’avait jamais rien demandé et la vie ne lui avait rien donné. Il regardait toutes ces femmes qui passaient entre ses mains tremblantes mais il n’en voyait aucune. Son esprit n’était touché que par leurs chevelures. Il les contemplait sans s’émerveiller. Cela lui avait été interdit. Alors sa vie ou plutôt sa mort n’était devenue qu’un assemblage de gestes. Il n’était plus que cela. Que pouvait-il être d’autre ? Il ne savait plus en qui croire. Dieu les avait abandonné depuis longtemps même s’il devait avoir une belle chevelure lui aussi. Et puis un jour sans pouvoir dire lequel il s’était rendu compte que les hommes existaient. Ce jour-là il rencontra celle qu’il attendait depuis le commencement. Il ne la vit pas tout de suite. Il la toucha d’abord. Ses cheveux étaient doux. Dans cet endroit, cette douceur était insupportable. Il voulut voir son visage mais c’était impossible. Alors il s’activa comme il l’avait toujours fait durant ces jours qui n’étaient que des nuits. Et au milieu de la nuit, il voyait ses lignes du temps que personne auparavant n’avait oser couper. Elle ne disait rien et pourtant son silence lui parlait. Quand il coupa la dernière mèche, il découvrit enfin son visage. Elle était souriante et il ne la comprit pas. Il ne pouvait expliquer ce sourire. A moins que ce fut celui de ce tableau qu’il avait toujours voulu contempler. Cependant les hommes en avaient décidé autrement. Il regarda ses lèvres mais il était incapable d’en comprendre le sens. Elle n’aurait jamais du être dans cet endroit. En partant elle toucha sa main tranchante et il sentit son cœur se serrer. Le temps du souffle d’un soupir, il comprit. Lui qui n’était rien était devenu un homme par la grâce de ce geste. Il se retourna au moment où elle franchit la porte. Le garde le surveillait. Sans dire un mot, il s’avança vers lui et lui tendit sa main. Le garde surpris par ce geste soudain, l’abattit sans qu’il puisse changer le cours des choses. Seulement, il était mort libre et d’un seul coup toute sa vie d’esclave prit un sens. Il était le premier à avoir résisté à l’ignominie. Il avait montré l’exemple de la résistance. C’était ainsi que le camp avait été le premier à se libérer de l’esclavage de la mort.