1101 - Absurde I

N. Lygeros

Un personnage s’avance seul sur la scène. Très lentement, il va à larencontre du public. Il s’immobilise, fixe le public du regard et lance sonappel.

Michel

L’absurde est mort !

Un autre personnage fait irruption sur scène. Il semble furieux.

Raphaël

Ca ne va pas non ! Il fonce sur l’autre personnage.

Michel

Je n’ai rien fait de mal… Un temps. Je répète…

Raphaël

Seulement tu répètes la scène finale devant le public !

Michel

Je ne vois pas où est le mal !

Raphaël

Tu as complètement défloré le sujet ! Tu as dévoilé la chute !

Michel

Pourquoi cela serait-il nuisible ? Un temps. Il s’agit biend’une comédie sur l’absurde.

Raphaël, en montrant le public.

Mais ils n’étaient pas censés le savoir !

Michel

En quoi le fait de le savoir change-t-il quelque chose ?

Raphaël

Ils ne comprendront pas la pièce si tu commences par la fin.

Michel

Il y a donc quelque chose à comprendre ?

Raphaël

Bien sûr !

Michel

Quoi donc ?

Raphaël, surpris.

Je ne sais pas… Il semble réfléchir. Je n’y ai pas réfléchi.

Michel

C’est absurde !

Irruption d’un nouveau personnage. Il avance sur scène comme le premier.Il ne fait pas attention aux autres qui sont médusés. Michel dit les répliquesde Raphaël et vice versa.

Gabriel

Vive l’absurde !

Michel

Mais c’est une tragédie.

Gabriel, surpris.

Non, non il s’agit bien d’une comédie !

Raphaël

Tu vois qu’il répète lui aussi ! Et ce devant le public !

Michel, prenant le public à témoin.

Qui a compris le début de cette pièce ?

Raphaël et Gabriel

Ce n’est pas le début ! C’est la fin !

Michel, imperturbable.

Ce n’est pas à vous que je m’adresse !

Raphaël et Gabriel

A qui alors ?

Michel, dans un cri.

Au public !

Gabriel

Il n’y a pas de public ! Il s’agit d’une répétition !

Raphaël

Nous ne pouvons tout de même pas faire répéter le public…

Michel

Pour cette pièce, ce serait judicieux ! Un temps.

On entend du bruit dans la salle.

Raphaël

Silence ! Avec un air complice. Je fais répéter le silence…

Michel

Personne ne peut répéter un silence !

Gabriel

Silence !

Raphaël, en le montrant.

Ceci est un contre exemple…

Michel

Absurde !

Raphaël

Nous avons un problème à résoudre.

Gabriel

Lequel ?

Raphaël

Dans notre trio, Michel a dit mes répliques.

Michel

C’est vrai !

Gabriel

Je me disais bien qu’il y avait un problème.

Raphaël

C’est incohérent avec notre duo.

Michel

Seulement dans le texte, il est indiqué que je dois dire tes répliques.

Gabriel

Alors comment savoir qui est qui ?

Raphaël

Justement le public ne peut pas savoir !

Michel

Nous sommes attachés à nos noms…

Gabriel

Et non au sens !

Raphaël

C’est absurde !

Michel

C’est peut être justement la raison.

Gabriel

L’absurde aurait donc un sens ?

Michel

Ce qui est certain c’est qu’il est cohérent…

Raphaël

C’est vrai que l’absurde n’est pas une absurdité.

Gabriel

Cependant la perturbation de nos rôles n’est-elle pas nuisible à lacompréhension du texte ?

Michel

Ce qui est certain c’est que nous ne devons pas attacher une trop grandesignification à ce que dit chacun d’entre nous mais à ce que nous disons dansnotre ensemble.

Raphaël

C’est toujours cela de gagné.

Gabriel

A présent, je ne sais plus si je dois parler ou non…

Michel

Cela n’a pas d’importance, nous sommes en pleine répétition.

Raphaël

Mais le public ?

Michel

Il doit répéter lui aussi ! Un temps. Ce n’est pas simple demonter une pièce absurde.

Gabriel

Le paradoxe c’est que dans la vie nous sommes sans arrêt confrontés àl’absurde et c’est au théâtre qu’il nous pose des problèmes.

Raphaël

Pourquoi ne pas jouer notre pièce comme nous vivons notre vie ?

Michel

Car dans ce cas plus personne ne verrait l’absurde de la chose. Un temps.Que la vie soit absurde est un truisme et non une innovation !

Gabriel

Notre pièce n’intéresserait plus personne.

Michel

Le public veut voir quelque chose qui change, quelque chose qui bouge.

Raphaël

Et nous sommes là à tourner en rond.

Gabriel

Comme si nous avions perdu le sens de notre conversation.

Michel

Comme si notre conversation était absurde. Silence.

Raphaël

L’absurde est mort !

Gabriel

Vive l’absurde !

Obscurité.