1102 - Absurde II

N. Lygeros

Paléo

Je viens de relire les lettres de mon moulin.

Néo

Je ne savais pas qu’il t’écrivait.

Paléo

Une de ses lettres m’a particulièrement touché.

Néo

De laquelle s’agit-il ?

Paléo

Elle est intitulée Maître Cornille.

Néo

Je m’en doutais !

Paléo

Pourquoi donc ?

Néo

Ne parle-t-elle pas du moulin ?

Paléo

Oui, c’est exact…

Néo

Tu vois !

Paléo

Que dois-je voir ?

Néo

Que les gens n’aiment parler que d’eux-mêmes.

Paléo

Mais ce n’est pas Moulin qui a écrit cette lettre !

Néo

Qui donc alors ?

Paléo

Alphonse !

Néo

Alphonse ? Je croyais que c’était Jean !

Paléo

En fait il s’agit de Francet…

Néo

Qui est-ce ?

Paléo

Un vieux joueur de fifre…

Néo

Quel drôle de personnage !

Paléo

Son histoire n’a pourtant rien de drôle.

Néo

Ce n’est pas grave. Je n’aime pas les histoires drôles. Un temps. Raconte !

Paléo

Je ne sais pas par où commencer.

Néo

Commence par la fin.

Paléo

« Tout a une fin en ce monde, il faut croire que le temps des moulins à vent était passé comme celui des coches sur le Rhône, des parlements et des jaquettes à grandes fleurs. »

Néo

Ton moulin, c’est du vent ! Je préfère l’autre.

Paléo

Ils sont morts tous les deux pour la même cause.

Néo

Pour la même cause ou par la même cause ?

Paléo

C’est la même chose !

Néo

Je ne comprends pas.

Paléo

Ils ont été tous les deux broyés par le système.

Néo

Il leur était impossible de sortir de l’enclave. Ils avaient mangé leur pain blanc.

Paléo

Aucun Don Quichotte ne reste vivant.

Néo

Je croyais que tu parlais de Moulin.

Paléo

Les rôles changent.

Néo

Le vent n’est pas constant.

Paléo

Et pourtant l’émotion demeure intacte !

Néo

Même si les moulins sont tombés dans l’oubli.

Paléo

C’est parce qu’ils sont oubliés que je les aime encore.

Néo

Autant dire que tu aimes les oublis !

Paléo

Mais c’est bon les oublies !

Néo

Comment ?

Paléo

Dans le temps les hommes mangeaient les oublies.

Néo

A présent ce sont les oublis qui mangent les hommes.

Paléo

Tu serais surpris d’apprendre qu’il existe encore un endroit où l’on fabrique des oublies !

Néo

C’est donc cela le secret de Maître Cornille ? Un temps. Si c’est le cas, c’est cornillien !

Paléo

Pourquoi es-tu toujours aussi moqueur ? Un temps. Les oublis c’est important.

Néo

Cela semble être le credo d’Aloïs ! Et puis je croyais que c’était les roses…

Paléo

Tu ne peux pas tout jeter dans les roses !

Néo

Comment lutter autrement contre les moulins à paroles ?

Paléo

Tes roses des sables mouvants ne valent guère mieux.

Néo

Les roses sans rosée ne sont que sables mouvants.

Paléo

C’est pour cela que c’est difficile de voir un ami pleurer…

Néo

et un moulin mourir !

Paléo

Si ses ailes ne sont pas déployées, elles ressemblent à une croix.

Néo

Ils meurent les ailes en croix.

Paléo

Cloués dans nos mémoires.

Néo

Il ne faut pas te mettre dans cet état.

Paléo

J’aurais dû te lire l’autre fin.

Néo

Une autre fin ?

Paléo

Elle était trop dure pour Alphonse, il ne l’a pas conservée.

Néo

Elle aussi est tombée dans l’oubli…

Paléo

« Hélas ! le moulin tournait à vide et le meunier travaillait à jeun. Ils sont morts à la peine tous les deux. »

Néo

Il ne faut pas y prêter attention.

Paléo

Comment faire autrement ?

Néo

Je t’apporterai des oublies.

Paléo

Pour oublier ?

Néo

Non pour manger !

Paléo

Pour manger ?

Néo

Chaque fois que nous mangeons des oublies, nous créons des souvenirs !