1376 - La nature du paradigme épistémologique de Kuhn
N. Lygeros
Le paradigme épistémologique de Thomas Kuhn tel qu’il l’a décrit dans sa structure des révolutions scientifiques se compose de quatre phases. La première phase est constituée par un consensus scientifique qui se formalise en modèle puis en paradigme. A partir de cet instant, il sert de point de référence. En d’autres termes, tout est mesuré à travers cet objet formel. Cela peut même aller très loin puisque parfois la réalité a été déformée pour être conforme avec le modèle ou encore, avec l’exemple de Galilée les mesures étaient si erronées qu’elles confirmaient un modèle qui était en réalité ad hoc et surtout interdit pour ne pas dire artificiel. La seconde phase correspond à celle de la crise du modèle. Des mesures précises ne cadrent plus avec les précisions du modèle et ces divergences provoquent et engendrent des questions nouvelles auxquelles le théorème en place répond avec de plus en plus de difficultés. Il existe à ce moment un travail de préparation qui se concrétise avec la troisième phase qui correspondait à la création d’un nouveau modèle qui se différencie du modèle standard sur certains points fondamentaux. En réalité, il s’agit aussi du paroxysme de la crise car dans cette phase les débats sont aussi des combats. Enfin la quatrième phase, c’est celle qui affirme la suprématie du modèle nouvellement créé. Et ensuite se reforme le cycle de la révolution qui accumule via ce cycle de nouvelles connaissances tout en les synthétisant. Le paradigme épistémologique est donc cyclique mais la révolution elle-même est polycyclique.
La question que nous nous posons à présent c’est de savoir si l’épistémologie peut ou doit être construite comme une science ou au moins une méta-science à l’instar de la méta-mathématique pour les mathématiques. Car dans ce cas le schéma de Kuhn serait lui-même un paradigme qui pourrait être contesté par la suite et même voir un nouveau paradigme le supplanter. Car si nous sommes dans ce cas, c’est le modèle de Kuhn qui propose lui-même d’être examiné. De plus si nous suivons le formalisme de Karl Popper, ce modèle doit être falsifiable s’il est vraiment scientifique. Cela nous amène donc à nous poser la question de l’expérience à savoir qu’elles ont été les études qui ont été faites pour imposer ce modèle et si c’est vrai qu’elles ont eu lieu, y a-t-on observé des déviations par rapport à la norme. Sinon ces cas doivent être traités spécifiquement afin de mettre en évidence s’ils n’indiquent pas l’existence d’un modèle plus complet.
De manière plus globale, cela revient à se poser la question de la complétude du modèle de Thomas Kuhn. Car en présence de questions pour le moins auto-référentes il est difficile de ne pas penser à une problématique de type gödelien. Cela montre aussi que le paradigme de Kuhn ne doit pas être considéré comme incontestable a priori. Car c’est bien ce qui se passe dans le domaine de l’épistémologie. Et cela provoque selon nous un paradoxe car l’épistémologie à travers son analyse diachronique de la science sait combien les dogmatismes sont dangereux pour son évolution. Aussi il ne faudrait pas qu’elle tombe dans le même piège. En recherchant ses faiblesses, elle deviendra nécessairement plus puissante sur le plan explicatif.