1572 - Nous étions trois
N. Lygeros
Ce jour-là nous n’étions que trois. Les autres étaient absents. La société les avait absorbé. Ainsi nous décidâmes de vivre à travers le dialogue humain. Dans cette solitude partagée, nous étions ensemble, non seulement pour parler mais pour survivre.
C’était la première fois que nous pouvions échanger des idées sur le temps, le maître des hommes sans craindre les reproches du consensus. Chacune de nos phrases prenait tout son sens dans ce nouveau contexte. Nous écrivions notre histoire, éveillés. Condamnés par la même injustice, nous ne pouvions être des esclaves. Nous étions nés libres et nous devions subir les conséquences de cet état. C’était ainsi que les innocents découvrirent le juste.
Plus unis que jamais à partir de ce jour, nous travaillons désormais pour la même cause en sachant qu’aucun d’entre nous ne peut agir sans les autres car nous sommes le même nous face à la même adversité. Nos connaissances partagées sont notre unique pouvoir. Seul notre savoir peut aider les autres.
Combien de siècles ont passé depuis ce jour, nous sommes les seuls à le savoir. Tandis que pour les autres rien n’a encore changé. Pourtant nous ne sommes plus les mêmes hommes. A présent, nous existons pour le même but, dans le même cadre : l’humanité.
Nous n’étions que trois car nous ne devions pas être plus pour parler. Cela faisait des semaines que nos questions attendaient des réponses mais nous n’osions pas. Nous étions trop nombreux. Et le théâtre ne nous avait pas encore unis. Nous jouions nos rôles sans connaître le scénario.
Mais ce jour-là, nous écrivîmes pour la première fois nos propres mots, nos propres maux. Intacts comme le marbre avant d’avoir été frappé. La chute des remparts sociaux montra la grandeur humaine.
Nous écrivions et nous disions notre propre texte sans l’intervention d’aucun système. Nous voulions exprimer notre pensée et laisser sa trace sur le papier afin que le souvenir soit toujours présent malgré les siècles. Le temps nous montrait le chemin et nous marchions pour la première fois sur sa voie. C’était notre premier cycle même si nous ne le savions pas encore. Il nous fallait un début et ce début eut lieu ce jour-là.
Depuis, chaque fois que nous nous souvenons de cette première transformation, il nous est encore plus difficile de ne pas voir combien nous sommes unis face aux autres. Nous avons réussi à établir le contact dans un des moments les plus cruciaux de notre vie alors maintenant nous savons combien ce contact est précieux.
Cette solitude partagée, nous savons qu’elle engendre des solitaires. Et c’est leur rareté qui ajoute de la valeur à l’humanité. Sans ces solitaires l’humanité n’aurait de sens. Sans l’humanité, les solitaires ne seraient pas. C’est à travers cet altruisme solitaire que nous générons l’humain solidaire.
Voilà ce que nous apprîmes ce jour-là.