1608 - Le temps des dattes
N. Lygeros
Il existe certains souvenirs qui nous viennent d’un temps à venir. Et il en est ainsi de celui qui appartient au temps des dattes. Trouvé dans un ouvrage d’antan nous imaginons des saveurs jamais goûtées. Ces doigts de lumière qui ont surgi du désert et qui ne cessent de rappeler certains écrits d’Albert Camus sont toujours présents lorsqu’il s’agit de décrire la simplicité du bonheur ou plutôt le bonheur du simple. Surtout lorsqu’ils sont associés au monde mycénien à travers ce miel, ce μέλι, ce ME-RI. Quant aux amandes, une fois émondées et grillées, elles nous rappellent ce que nous n’avons pas encore fait en effleurant l’écorce d’un amandier : lui dire merci d’être là avec le printemps. Et puis nous avons le sésame qui ne cesse d’ouvrir le palais des pauvres et donner du goût à l’expression d’un tore. Par ailleurs comment oublier la route des épices, en pensant à la blancheur du poivre et aux graines de gingembre. Même les perles de sucre ne peuvent alors nous distraire de la mission à accomplir : préparer un sirop. Toujours simple mais toujours bon. Il est si difficile d’être heureux que seules les pâtisseries peuvent adoucir notre vie. En mélangeant le sirop au miel, aux dattes et aux amandes, sans manquer d’épicer en remuant de temps en temps notre propre spectacle qui ne tient que dans une pauvre casserole, nous nous préparons déjà à l’étape ultérieure. Nous pétrissons légèrement ces futurs souvenirs pour ne pas les briser et pour leur donner ensuite la forme d’un saucisson car si nous faisons tout cela c’est avant tout pour le partager. Car comment savourer du nougat de dattes en restant seul. C’est impossible, il faut des amis prêts à partager la solitude d’autrui et les fruits du désert.
Il nous faut bien peu de choses pour vivre cependant nous désirons toujours être heureux. Comme si c’était l’unique chose pour justifier la vie et notre présence dans cette existence. Le temps des dattes comme celui des cerises, nous parle pourtant d’un autre monde où la terre serait ronde, où la lune serait blonde, un monde sans rêves, sans illusions, gorgé uniquement de vie, de ce fruit que nous ne comprenons pas et que nous savourons. Car dans ce phénomène l’important c’est de choisir d’appartenir à ce monde. De conserver en nous des saveurs qui pourraient ne plus exister sans notre mémoire et sans notre résistance face à l’oubli. Nous aimons parler des peuples, sans écouter les petits. Pourtant à travers leur sagesse, nous comprendrions plus facilement combien est précieuse une perle de sucre pour un enfant, combien est précieux l’instant qui passe et qui ne reviendra plus, à l’instar de la musique comme dirait Leonardo. Nous ne devons pas oublier ces moments de l’avenir si nous voulons vraiment aider. Car comment aider sans partager la simplicité d’un dessert qui a traversé les siècles juste pour nous rendre cette vie que nous aimons tant, beaucoup plus douce grâce à quelques ingrédients oubliés par la société au profit de la précipitation. Alors chaque fois que vous vous retrouverez dans le temps des dattes, n’oubliez pas de le déguster.