1759 - L’école de la bibliothèque
N. Lygeros
Il est difficile de décrire l’ambiance d’une bibliothèque comme celle des archives scientifiques de la ville de Göttingen. Il faut dire que l’élément dominant est le silence et parfois l’ombre. Au milieu des livres les personnes sont rares comme les hommes dans la foule. Les gens ne parlent pas, ils lisent les manuscrits. Ils viennent pour communiquer avec le passé, ils viennent écouter les paroles des morts comme dirait Leonardo da Vinci. Chaque manuscrit est précieux pour le lecteur. Mais qu’en est-il du bibliothécaire qui vit au quotidien la rareté livresque ? Rien n’est certain. Il est rare celui qui est prêt à aider pour partager, pour faire connaître. Néanmoins il existe et nous l’avons rencontré. Il est jeune mais pour combien de temps encore. Il est aimable comme la première page d’un livre. Il convie à la lecture car il sait que sans cela sa vie serait dépourvue de sens. Il demeure formel car il appartient à une institution ancestrale et tout ne peut lui être permis. Pourtant il n’hésite pas à rendre service aux hommes venus de l’extérieur. Il respecte les visiteurs car il sait que ce sont les lecteurs de la bibliothèque. Sans eux, elle ne serait qu’un musée mort. Seulement il ne peut enfreindre aucune loi. Les manuscrits ont beau être présents dans la bibliothèque, si leurs auteurs ne sont pas morts depuis plus de tente ans, ils demeurent inaccessibles. Pour les lire, il faudra attendre. Tel est le paradoxe de la déontologie de la bibliothèque. Malgré cela les loupes éclairantes sont toujours penchées sur les manuscrits comme des anges gardiens. Elles éclairent l’ombre du passé pour qu’il ne soit pas oublié. Dans la bibliothèque, le temps semble immuable. Comme si toute sa structure était immobilisée pour étudier les livres. Les sociétés changent à l’extérieur, de même que les goûts, pourtant la bibliothèque a toujours les mêmes couleurs. Rien de vif, rien d’extrême. Tout est fait pour mettre en valeur les livres et non le cadre. Et il en est de même des bibliothécaires. D’ailleurs, avec le temps, ils finissent par ressembler à des catalogues ou même des index comme si tous les autres doigts étaient inutiles. Après tout ils sont là pour montrer les indices utiles aux chercheurs. Dans cette obscurité, se cache la Renaissance de chaque esprit unique. Seulement la rencontre est nécessaire. Le lecteur est peut-être fabuliste mais la structure du livre doit demeurer ouverte. Elle ne représente pas seulement une attente. Elle est aussi un don. Malheureusement très peu d’hommes sont capables de recevoir ce don. Et c’est pour cela que bien souvent il se transforme en sacrifice sinon en perte. Le bibliothécaire le sait. Aussi il est lui aussi dans l’attente des hommes qui lisent et qui peuvent transmettre les connaissances acquises après de nombreuses heures sous les loupes éclairantes. Chaque document doit être lu mais pour être lu, il doit être compris et pour cela il doit encore être décodé. Ainsi les lecteurs deviennent peu à peu des cryptographes pour déchiffrer non pas ce qui est caché car rien n’est caché mais ce qui a été oublié. Afin que l’humanité ne se perde pas dans les limbes de l’oubli.