1760 - La libellule dans le camp
N. Lygeros
Ecrivain
Pourrais-tu me rappeler l’air de la libellule ?
Musicienne
Oui, bien sûr
Elle commence à siffloter le fameux air.
Ecrivain
Non pas ce passage.
Musicienne
Une mesure particulière alors ?
Ecrivain
Non, seulement le leitmotiv.
Musicienne
Le thème alors…
Ecrivain
Oui, si tu préfères.
Elle fredonne le thème cette fois…
Il commence à écrire.
Musicienne
Qu’écris-tu ?
Ecrivain
Non, ne t’interromps pas… Un temps. J’ai besoin d’entendre ce passage.
Musicienne
Si tu le désires.
Elle recommence à fredonner à partir de là où elle s’était arrêtée.
Ecrivain
Merci…
Il se penche à nouveau sur son cahier.
Tout en chantant elle tente de lire ce qu’il écrit. Mais en vain.
Il couvre bientôt toute la page de signes. Oui, de signes. C’est le terme le plus adéquat. Car cela restait illisible. Elle était de plus en plus intriguée mais elle n’osait l’interrompre.
Il pensait au silencieux. Il savait qu’il aurait aimé lire son texte.
Il esquissa un sourire…
Elle crut qu’il s’adressait à elle et elle en esquissa un à son tour.
Musicienne
Est-ce suffisant à présent ?
Ecrivain
Comme s’il revenait à lui.
Oui, oui… Merci. Un temps.
As-tu pensé à l’impact de cette libellule dans un camp ?
Musicienne
Tu penses à l’effet papillon ?
Ecrivain
Non, seulement à ces hommes qui sont restés des hommes, malgré les brutes…
Musicienne
Primo Lévi ?
Ecrivain
Entre autres…
Musicienne
C’est vrai qu’ils jouaient de la musique parfois…
Ecrivain
Certains étaient même forcés…
Musicienne
Quelle barbarie !
Ecrivain
Quelle humanité !
Musicienne
Comme s’il avait fallu la première pour relever l’autre…
Ecrivain
Comme si le bruit était nécessaire pour comprendre la musique.
Musicienne
Seulement une fois cela acquis…
Ecrivain
Rien n’est acquis, il faut sans cesse se sacrifier pour le conserver.