1948 - Vision protéiforme
N. Lygeros
« Car un homme peut être bien
proportionné, ou gros et court, ou long et mince, ou moyen ; et qui ne
tient pas compte de cette variété fait toujours ses personnages selon le même
patron, de sorte qu’ils paraissent frères, ce qui est fort blâmable. »
Leonardo da Vinci
Au delà de la
spécialisation et de la technique se trouvent l’universalité et la science
conçue comme un art. Leonardo da Vinci met, cette fois, en évidence la vision
protéiforme de l’artiste qui doit être capable de différencier le semblable, de
distinguer le comparable afin d’aller par delà l’invraisemblable et d’atteindre
l’incomparable. L’artiste doit être capable de connaître, au sens étymologique
du terme, l’objet de son œuvre. Cette dernière ne peut être une pâle copie de
l’objet initial. Celui-ci doit être saisi dans son ensemble, de manière
holistique afin de mettre en exergue ses singularités caractéristiques. Aussi
le moindre détail devient un indice sur lequel va se construire l’œuvre de
l’artiste. L’idée n’est pas la ressemblance de l’étranger mais la différence du
connu. Le visage peint par l’artiste doit être caractéristique afin d’être
identifiable. Seulement cela dépend fortement de la capacité cognitive de
comprendre le fonctionnement essentiel de l’autre. Le visage d’un homme n’est
pas seulement un ensemble de traits. Il s’agit plutôt d’un amalgame de lignes
de vie. Et c’est cet amalgame que l’artiste doit saisir dans toute sa
profondeur. Chaque élément doit être interprété comme un sous-ensemble de
diversité temporelle. Aussi il est nécessaire pour l’artiste d’avoir lui-même
une vision protéiforme afin de rendre plus efficace son regard mais aussi
l’exécution de la main. Il doit s’attacher à la cohérence des constituants pour
développer sa matière à penser sur son tableau. Il transcrit les éléments d’une
vie non pas dans une version réaliste mais dans un cadre cognitif. Aussi les
limites de l’artiste dans le cadre léonardien, proviennent avant tout de son
intelligence. Car il ne voit que ce qu’il comprend. Et l’immortalité de
l’instant n’a de sens que dans l’éphémère. Leonardo da Vinci recherche l’humain
dans la divergence des simplicités et la complexité du simple. Il ne regarde
pas seulement l’objet du portrait, il voit l’entité humaine. Son approche
rejette donc le style simpliste. Elle transcende les codes formels pour toucher
ce que nous nommons art véritable. L’aspect authentique de sa vision est
d’autant plus vrai qu’il est démontré par ses réalisations picturales. Il ne se
pose donc pas seulement en mentor mais aussi en maître capable de construire le
concept et créer l’idée de l’art.