2244 - Remarques diachroniques sur les droits des Européens en Turquie
N. Lygeros
En examinant les notes d’Alexandre Carathéodory sur le traité de Paris du 30 Mars 1856 et sur le traité de Berlin du 13 juillet 1878 par rapport aux droits des citoyens européens en Turquie, il est affligeant de constater l’absence de progrès dans ce domaine. Malgré les signatures des traités, la situation réelle des citoyens européens en Turquie reflète le substrat géopolitique. Les négociations successives ne mettent en évidence que la différence radicale qui existe entre le traité et son application. Le cas de la Turquie est particulièrement flagrant en qui concerne les droits de l’homme. Même le cas particulier des citoyens européens est déjà révélateur en soi. En effet, malgré la présence diachronique des grandes puissances dans l’histoire des négociations turques, les résultats concrets sont pour ainsi dire insignifiants. Comme le signale Alexandre Carathéodory lui-même l’article 63 du traité de Berlin ne fait que renforcer l’existence et le domaine de validité de l’article 7 du traité de Paris. Cependant la situation réelle est tout autre comme le souligne ce juriste. Car les citoyens européens ne se trouvent pas dans les mêmes conditions selon qu’ils sont sur des territoires du Sultan ou pas. Le juriste qui a fait ses études à Paris, précise que les citoyens européens sont sous le régime des Capitulations qui entraîne de graves dérogations au droit public. Déjà à cette époque la situation réelle et les articles des traités sont en contradiction. Certes cela ne gêne aucunement la Sublime Porte qui se contente de cet état de faits puisqu’ aucune grande puissance ne lui en tient véritablement grief. Cela prouve que les revendications formelles sont dépourvues de sens. L’étude diachronique des traités permet de constater qu’il n’y a pas de différence fondamentale au niveau de la tactique et du traitement du problème des citoyens européens aussi bien par la Sublime Porte, par le régime des Jeunes Turcs, par Mustapha Kemal que par le mouvement néo-islamiste actuel. Un Européen en Turquie est avant tout un étranger, un étranger puissant et donc a priori un ennemi potentiel. Si de plus cet européen est en relation avec des éléments arméniens ou des Kurdes alors le potentiel qui le caractérise devient effectif. Cet aspect est rarement mis en évidence dans les discours politiques. Il est pourtant omniprésent dans les traités comme nous pouvons le constater aussi bien dans les traités de Paris et de Berlin que dans les traités de Sèvres et de Lausanne. Il est possible de retrouver cet état d’esprit dans les accords de Zurich-Londres et de Vienne III qui concerne spécifiquement le cas chypriote. Et si nous considérons l’extension avortée que représente le plan Anan V alors le noyau dur de cette politique est clairement mis en évidence par l’ensemble de ces faits. Ce dernier point constitue d’ailleurs un révélateur critique. Même les acquis communautaires sont réduits à néant s’ils engendrent des obstacles géostratégiques. L’exemple le plus flagrant se trouve dans les territoires occupés de Chypre. Le caractère européen des Chypriotes – même au sens de l’Union Européenne – ne gêne nullement le gouvernement turc pour bafouer leurs droits les plus fondamentaux. Pour la Turquie, l’Union Européenne n’est pas un but mais une cible.