2258 - La petite douleur
N. Lygeros
Dans ce village de pierres dorées, il avait eu la malchance d’être né roux. Il ne l’avait pas choisi et c’était pourtant la seule chose qui le caractérisait pour les autres. Il aurait pu ne pas avoir de nom, être un parfait anonyme, cela n’aurait rien changé car pour la société, il ne pouvait qu’être affublé d’un surnom. Il ne tarda pas à le connaître tant les gens le répétaient sans cesse. Et par la suite, il avait fini par se demander si un jour il avait eu un nom tant les gens le taisaient. Certes sa famille aurait pu compenser cette erreur qui n’avait rien d’humain mais cela n’avait pas été le cas. Etait-ce le fruit du hasard ou de la nécessité, personne ne put le lui apprendre. Il n’avait pas demandé à naître, il n’avait pas choisi la couleur de sa chevelure et pourtant il était là au milieu du désert de la foule dans un petit village de pierres dorées. Ses grands-parents étaient déjà morts à sa naissance aussi il n’avait pas connu la douceur des hommes du passé. La société ne l’avait entouré que de la douleur des gens du présent. Personne donc ne lui avait appris quoi que ce fût, aussi pendant toute son enfance il avait pensé qu’il n’y avait rien à comprendre dans ce monde. Il n’avait pas pu aller à l’école. Ses parents pensaient que c’était inutile. Il restait à la ferme en compagnie des animaux. Il était parmi les siens, les bêtes. Son univers avait la dimension d’une ferme. Bien sûr, de temps en temps, des étrangers finissaient par se perdre dans un univers et il découvrait peu à peu qu’il existait un monde inconnu, celui des inconnus. Il aimait les inconnus car ils étaient les seuls à lui demander son nom sans l’appeler par son surnom.
Un jour, l’un d’entre eux voulut goûter de son fromage. C’était la seule chose qu’il savait faire. Sa bêtise était devenue un savoir et il aimait le partager. L’étranger avait tant apprécié cette pierre dorée qu’il proposa de l’emmener avec lui dans l’univers des inconnus. Avant de partir, il regarda autour de lui et fut surpris par l’absence d’humains aussi il ne pleura que pour les bêtes. L’étranger le comprit et lui suggéra de les emmener avec lui. Il vérifia que c’était possible et il emporta ses bêtes dans le village de l’étranger.
C’était un village désert. Les gens l’avaient abandonné depuis bien longtemps. L’étranger lui demanda de choisir sa maison. Il regarda les pierres. Celles-ci n’étaient pas dorées. Elles étaient grises désormais. Elles avaient été peintes par le temps de la douleur. Il choisit sa maison et installa ses bêtes. Il était seul dans le village de l’étranger mais il était avec l’étranger. Deux hommes dans un village gris. Deux bougies dans la nuit. Mais les bougies avaient décidé de brûler.
Il se remit à mouler les morceaux de lumière. Et l’étranger put contempler son travail d’orfèvre. Il était délicat car il aimait cet or que lui offraient ses bêtes et qu’il voulait offrir aux hommes. Bientôt le village reprit sa couleur d’antan grâce à la petite douleur d’un enfant né coiffé d’une couronne qui n’était pas de roi.