2281 - De l’interdit à l’interdit d’interdire
N. Lygeros
Le problème de la pénalisation de la négation du génocide des Arméniens n’est pas une simple pénalisation. Aussi c’est une erreur médiologique que de la présenter de cette manière. Il en est de même du point de vue stratégique puisque cela revient à présenter une contre-attaque qui suit une défense, comme une simple attaque. La pénalisation de la négation est une forme légale de résistance contre l’oppression du génocide de la mémoire. Il ne s’agit uniquement d’un processus nomologique mais d’une nécessité. C’est la dignité de la mémoire qui impose au droit de légiférer. Car nous ne devons pas oublier qu’il s’agit aussi d’effectuer une pression à l’encontre du régime autoritaire turc qui a fait passer une loi qui condamne toute référence au génocide des Arméniens car celui-ci est considéré comme un acte contraire à l’intérêt fondamental de la Nation. Aussi les défenseurs des droits de l’Homme et les hommes politiques doivent d’abord mettre en avant cette loi qui est un interdit. La problématique n’est donc pas de savoir si la politique a des droits sur l’histoire car ceci est un fait. Toute la question se résume à savoir si la dignité de la politique sera capable de résister à la barbarie d’un régime qui s’obstine à ne pas reconnaître qu’il a commis un crime contre l’humanité. Si nous voulons réellement faire passer cette loi pour lutter contre la barbarie, il sera nécessaire de l’expliquer de cette nouvelle façon. Sans cela il y a fort à parier que les fanatiques de l’oubli renverseront à nouveau les données afin d’écrire l’histoire selon leur bon vouloir. La loi sur la pénalisation de la négation est une interdiction certes, mais une interdiction d’interdire. C’est ce message que nous devons conceptualiser et transmettre. Les critiques adressées à l’encontre de ce projet de loi confondent sciemment le méta avec l’objet. Il ne s’agit pas d’une loi de pénalisation de plus mais de lutter contre la négation. La reconnaissance du génocide des Arméniens est la reconnaissance d’un crime contre l’humanité qui a eu lieu en 1915. Et la pénalisation de la négation est une reconnaissance d’un crime qui se poursuit depuis 1915. Il n’y a donc pas de double emploi. Ce n’est pas un pléonasme juridique c’est la continuation logique de la reconnaissance première dans le processus de réparation. Car la reconnaissance du génocide des Arméniens ne peut être considérée comme un but et encore moins unique. L’arménien n’est pas une langue morte et le peuple arménien est toujours vivant malgré la barbarie et le fanatisme des différents régimes turcs. La reconnaissance du génocide c’est la reconnaissance de l’existence de l’histoire. C’est un acte qui rend justice aux innocents et aux survivants. La pénalisation de la négation c’est la reconnaissance de l’existence d’un avenir. C’est donc un acte qui rend justice aux enfants des innocents et des survivants. Cet acte n’est pas initial, c’est la continuité d’un traitement. car le diagnostic n’a aucun sens s’il n’est pas suivi d’un traitement qui mène à la guérison. Et ce n’est pas en refusant l’existence de la maladie que nous changerons qui que ce soit. Le régime turc s’obstine car il ne veut pas se remettre en cause. Seulement ceci va à l’encontre de sa prétendue volonté à accepter et à appliquer les acquis communautaires de l’Union Européenne. Ainsi à travers la pénalisation de la négation, la France montre que c’est la dignité et la mémoire qui doivent guider la politique.