2613 - La mort dans l’âme
N. Lygeros
Dans la pièce s’est engouffré le drame d’une nuit sur le mont chauve. La musique du génie qui n’avait été reconnu qu’après sa mort, dominait désormais l’atmosphère secrète de la maison. Chacune des personnes présentes examinait attentivement le regard stupéfait des autres. Aucune d’entre elles ne connaissait la finalité de cette rencontre impromptue.
Une partition à peine éclairée par une lampe à pétrole, intriguait l’observateur attentif. Elle semblait être d’époque. Mais cela ne pouvait être le cas. Les annotations étaient si vivantes et si modernes.
L’encrier était encore ouvert et dégageait un parfum de fumée qui se mêlait à celle d’une pipe inexistante. Une goutte avait coulé le long du verre. Etait-ce un signe de précipitation ou d’inattention ?
La plume avait marqué la table comme si la personne qui écrivait, avait été brusquement interrompue dans son travail. Elle avait sans doute emporté son manuscrit car nul n’avait pu mettre la main dessus.
Chacun cherchait dans sa mémoire les circonstances qui avaient engendré par la suite, cette chaîne d’évènements incroyables. Seulement comment savoir quel détail avait été le facteur déclenchant ?
Etait-ce cette nuit où la manifestation pacifique avait été écrasée par le régime ? Non, cela n’était pas possible. Il ne restait plus aucun témoin de ce massacre.
Etait-ce ce jour où les survivants s’étaient emparés de leurs bourreaux dans un dernier acte de bravoure avant d’être abattus comme des chiens par la milice locale ?
Quoi qu’il en soit les faits étaient là et ils étaient incontestables. Mitia avait disparu et nul ne savait où il s’était enfui. Ses amis étaient venus chercher des traces chez lui mais en vain. Ils n’avaient pas trouvé le moindre indice.
Il était vrai que Mitia avait toujours été très discret sur ses activités. Elles n’étaient pas secrètes car la police politique le surveillait de près et il n’aurait pu commettre le moindre écart. D’ailleurs qui aurait pu ?
Aucune des personnes présentes n’avait osé s’exprimer. Tout le monde attendait un signe pour briser le silence. Et ce signe vint de la musique. Le gramophone surprit l’assistance. Il était dans la pièce d’à côté. Ils s’élancèrent tous hors de la pièce. Et quelle ne fût pas leur surprise en apercevant Mitia en sang. Il se tenait debout comme par miracle. Sa chemise était trempée et son sang tachait le tapis de Perse. Ils s’embrassèrent chacun à sa manière mais son gémissement les repoussa. Il avait été blessé. L’entaille était profonde. Sa cuisse était ouverte et l’os de son bras était visible. Il avait été attaqué par les barbares. Il avait brisé les hommes de main qui lui avaient posé un guet-apens mais ses blessures étaient aussi profondes que l’histoire de son peuple. Il avait la mort dans l’âme mais il ne mourrait pas. Voilà ce qu’il dit à ses compagnons d’armes.