9322 - 7 octobre 1571
N. Lygeros
« Les Turcs, à Lépante, avaient su que notre flotte venait à leur rencontre pour combattre, c’est pourquoi ils renforcèrent les équipages et les soldats des galères avec le plus de monde possible, ne laissant à Lépante avec les femmes les hommes inaptes au combat. »
Cela n’avait rien changé. La bataille avait suivi son cours selon les règles de la stratégie et non de l’hégémonie. Le manuscrit espagnol était on ne peut plus clair.
« Le fort de la bataille dura près de quatre heures et ce fut si sanglant et si horrible que la mer ne semblait faire qu’un avec le feu car on voyait des galères turques brûler dans l’eau et, dans cette eau toute rouge de sang, il n’y avait rien d’autre que des vêtements turcs, des turbans, des carquois, des flèches, des arcs des rondaches, des rames, des caisses, des sacs et autres dépouilles de la guerre. »
Le destin avait frappé l’infamie d’une barbarie qui n’avait jamais eu d’autre but que de mettre en esclavage les populations de la mer Méditerranée. Le rouge avec lequel elle avait voulu teindre le grand bleu avant même qu’il n’existe, ne fut que son propre sang ou plutôt celui des victimes de son système tyrannique. C’était aussi la preuve que la rhétorique avait une limite et qu’elle s’était fracassée sur la réalité que venait de créer la Sainte Ligue pour mettre un terme à la thalassocratie turque. Ainsi la Sublime Porte n’avait plus les caractéristiques de l’invincible.
La question qu’il fallait à présent se poser, était la suivante. Pourquoi cette bataille de Lépante était si peu mise en avant dans le contexte actuel ? Pourtant, il était évident qu’elle constituait un point clef dans la géostratégie européenne, en particulier dans l’espace méditerranéen. Elle était directement liée par ses conséquences aussi bien avec la guerre de Morée qui dura de 1684 à 1699 qu’au Traité de Karlowitz en 1699 lui aussi. Elle expliquait de plus très bien le substrat du Traité de Berlin de 1878. Cela semblait impensable à un stratégiste de ne pas tenir compte de ce phare. Néanmoins, c’était bien le cas. L’arrêt brutal de la suprématie maritime avait conduit la Turquie à n’être plus qu’une force terrestre. Cette approche donnait un sens à l’absence remarquable d’îles annexes pour cette dernière. La fin de l’Empire ottoman avait incité le repliement sur soi. Et dans le confinement terrestre, les ambitions d’un espace vital avait peu à peu conduit la barbarie à préparer le multiple génocide pour installer un nouveau pouvoir. La conscience de cela permettait au Maître de dresser des ponts temporels qui lui donnaient la possibilité de voyager tout en restant immobile. L’Anatolie avait changé de sens et elle était devenue l’Asie mineure en raison de sa défaite en Méditerranée. C’était comme si cette mer l’avait repoussé pour protéger la liberté des peuples de la mer. Le combat pour le grand bleu n’était pas résolu mais il était profondément ancré dans le temps. Telle fut la pensée du chevalier.