9295 - Les îles du bord du monde
N. Lygeros
Le chevalier continua son récit en abordant les îles au bord du monde. Celles-ci étaient rares mais absolument indispensables à la chrétienté, et cela depuis des siècles. Il fit d’ailleurs remarquer à sa bibliothécaire que c’était aussi le cas pour l’ensemble des îles dans la mer Méditerranée. Il s’agissait de pierres éparses sur un goban bleu dont l’ennemi n’avait de cesse de vouloir s’emparer. Cependant les îles au bord du monde tenaient car elles résistaient avec vaillance à toutes les attaques barbares qu’elles subissaient. Sur chacune d’entre elles, les chevaliers s’étaient battus sans relâche pour la liberté des hommes et des femmes. Sur ce point il s’arrêta un instant pour décrire le subterfuge du dernier chevalier de Leros qui avait habillé les femmes de l’île, avec les panoplies de ses amis chevaliers morts au combat et ainsi tromper les barbares qui voulaient s’emparer du château de l’île. Cet exploit fit une grande impression à la bibliothécaire car elle ne connaissait trop bien les caractéristiques de l’armement des chevaliers, aussi elle admira d’autant plus ces femmes qui n’avaient pas hésité à monter aux créneaux sur les ordres du dernier chevalier vivant. Ce subterfuge semblait incroyable et pourtant il avait marqué l’histoire du château des chevaliers.
Il y avait eu des braves à toutes les époques pour sauver les hommes du joug de la barbarie aussi même si ces derniers semblaient si peu à la bibliothécaire, le chevalier lui fit remarquer que l’essentiel était qu’ils fussent rares. En effet, c’était cette rareté qui avait toujours lutté contre la barbarie et nul autre. La bibliothécaire n’avait posé que très peu de questions. Elle était sous le choc de ces révélations et même si elle savait que son maître était capable de la surprendre, elle marqua le coup. Elle n’avait jamais réalisé auparavant l’importance de l’action des chevaliers sur ses propres terres. Elle connaissait depuis quelque temps la légende du chêne d’azur et sang mais son implication historique sur cette terre qui lui était si familière, lui avait complètement échappée. Elle finit par verser des larmes qu’elle essuya discrètement pour ne pas attrister son Maître. C’étaient des larmes de joie. Le chevalier l’avait d’un seul coup plongée dans une autre réalité qui était ancrée bien plus profondément dans l’histoire que tous les récits qu’elle avait parcourus durant toute son existence de lettrée. Il existait donc bien une différence fondamentale entre le langage et la pensée. Elle ne manqua pas sur ce point d’associer cette idée à l’étude des études de son Maître sur l’œuvre de Noam Chomsky mais elle se garda de le mentionner.