9291 - Rapprochements temporels
N. Lygeros
Le chevalier passait en revue et fin de partie et surtout des études pour approfondir les objectifs. Cette approche échiquéenne lui permettait d’étudier les batailles dans un univers clos et ainsi il saisissait le noyau du problème sans perdre de temps sur les détails environnants. Il avait remarqué que c’était une manière efficace de mettre en exergue le point clef d’une bataille. Cela n’était pas sans lui rappeler le passé et les combats réels des chevaliers d’antan. Il ne se demanda pas pourquoi sa bibliothécaire s’était attachée à la traduction bilingue de la Chronique de Morée. Il connaissait déjà le sens de cette action. C’était la suite logique d’une conversation érudite sur cette époque. C’était aussi une façon de réinterpréter le passé dans un cadre non uniforme qui faisait intervenir le temps polycyclique. Les signes étaient si rapprochés qu’il était impossible de ne pas faire de rapprochements temporels. C’était même le but de la manœuvre. Ce dernier mot s’accrocha à un mouvement. Il se leva et s’approcha de l’échiquier qui se tenait au milieu de la bibliothèque, toujours prêt à entrer dans la bataille. Il redisposa les pièces dans la position d’une étude. Il effectua un chaînage arrière pour comprendre le choix positionnel puis il résolut l’étude. C’était ainsi qu’ils avaient terrassé pour ne pas dire marteler l’adversaire. Cela remontait à des siècles mais le chevalier en avait gardé le souvenir intact. C’était d’ailleurs le principe de sa condition, une nécessité d’exister, une nécessité d’entreprendre, une nécessité de créer. Cette bataille avait été très violente et c’était elle qui avait permis de libérer le bourg du siège ottoman. Les serviteurs de l’Humanité étaient parvenus à changer la donne. Il sourit devant la cheminée. Ce fut à cet instant qu’il appela sa bibliothécaire. Celle-ci arriva sur-le-champ. En ouvrant la porte elle comprit que le chevalier avait fini sa manœuvre. Elle lui sourit à son tour et lui proposa un verre de cognac. C’était la tradition lorsqu’ils devaient disserter sérieusement d’un sujet encore inconnu pour elle. C’était aussi une façon de rendre hommage à leur ami commun, l’érudit. Son absence leur pesait à tous les deux et c’était une manière de poursuivre d’une part leurs échanges, d’autre part son enseignement. Il approuva d’un mouvement de tête. Elle servit les deux verres qu’elle posa sur la cheminée comme le faisait l’érudit, son professeur. Il contempla la couleur dans le verre. Cette couleur ou plutôt cette idée, l’incita à commencer par le grand bleu pour lui expliquer les premiers schémas mentaux de sa vision de la chronique du futur. Il prit son verre et lui donna le sien à la manière de l’érudit, son ami.