854 - Le Pomak comme paradigme balkanique linguistique
N. Lygeros
Bien que les approches linguistiques dans les Balkans soient pour ainsi dire par nature connotées politiquement, les spécialistes s’accordent à considérer le Pomak comme le terme qui regroupe les variétés dialectales du bulgare méridional. Mais il est vrai que le Pomak parlé en Grèce et plus précisément en Thrace évolue indépendamment de tout contact avec la langue bulgare officielle.
Du point de vue morphologique, la langue des Pomaks a été soumise à l’influence de la langue turque et à un moindre degré de la langue grecque. Le problème le plus important en ce qui concerne la communication interne, c’est la présence de nombreux termes turcs dans la variété dialectale parlée dans le département de Rhodope car ses locuteurs ignorent généralement les équivalents bulgares. Par contre et ce, de manière générale, il est vrai que les emprunts lexicaux aussi bien turcs que grecs ont pénétré l’ensemble des parlers locaux de la Thrace.
Les Pomaks, du point de vue linguistique mais pas seulement, sont dans la situation paradoxale d’une minorité au sein d’une minorité, elle-même au sein d’une majorité. Cet emboîtement s’il était cohérent ne serait pas problématique. Cependant les Pomaks sont dans une minorité qualifiée de religieuse mais reçoivent un enseignement linguistique d’une autre minorité. Ainsi ils se retrouvent naturellement dans le bassin d’attraction turc et ne peuvent maintenir l’existence de leur langue. Certaines tentatives ont eu lieu en Grèce, pour ouvrir des collèges dans des zones uniformément pomaques sans que ces établissements soient réservés spécifiquement à la minorité. Cependant sans l’appui des instituteurs qui sont des Pomaks eux-mêmes et qui recommandent aux élèves de ne pas parler le Pomak entre eux et sans l’appui d’études véritablement scientifiques de la langue, elles ne peuvent aboutir à des changements radicaux qui auraient un impact sur la tendance à disparition de cette langue.
Au milieu de nulle part car sur trois pôles linguistiques différents, le Pomak éprouve les plus grandes peines à survivre dans un milieu fortement politisé et conflictuel. Sans point d’appui, les locuteurs abandonnent leur langue au profit d’un consensus linguistique régi par des nécessités sociales et politiques.