840 - La seconde apparition de l’image
N. Lygeros
Alors qu’il avait fini par oublier cette image d’antan, elle était revenue à lui sans qu’il s’en rende vraiment compte. Il avait pris l’habitude de la contempler au moment des digressions. Les digressions étaient devenues de plus en plus importantes au point de se transformer en essentiel. Par la suite l’essentiel était devenu sa vie aussi il oublia le moment des digressions. C’était pour cette raison qu’il avait été surpris par la présence insoupçonnée de l’image. Il continuait à avoir ce même regard lumineux et direct. Aucun décor superflu ne venait perturber ce dernier. Il était l’essentiel de l’image, il était l’image de l’essentiel. Sa pose n’avait pas changé, pas même ce geste si symbolique de la main. Il était hors cadre et il appartenait à une autre époque pourtant il était le cadre et c’était son époque. Invisible pour le non initié, sa présence était cachée par son omniprésence. Posé à l’écart des regards, il représentait le centre de la pièce. Alors comment ne pas penser, au centre de la sphère qui n’appartient pas à celle-ci et qui pourtant permet de la définir. Il regardait tout le monde et personne ne le regardait. Il appartenait à l’histoire alors les hommes avaient fini par l’oublier sans se rendre compte qu’ils vivaient grâce à son histoire et surtout dans son histoire. Il était la preuve vivante qu’une transformation globale pouvait ne pas être perceptible car les hommes vivaient par la suite dans cette transformation sans pouvoir nécessairement se rendre compte de la différence avec le passé puisqu’ils ne pouvaient plus y accéder. La seconde apparition de l’image avait engendré ces pensées alors qu’il était venu pour un autre but dans ce lieu. Comme dans le passé, l’image initialement réduite au rang de digression s’était peu à peu transformée en l’essentiel de sa visite. Alors il se mit à écrire pour ne pas oublier ce que les hommes oubliaient, pour ne pas oublier l’inoubliable, pour ne pas oublier la vie. Cette vie qui avait d’abord connu la mort avant d’offrir son existence en don aux hommes qui ne pouvaient mourir sans vivre.