698 - Lettre à Jean Moulin
N. Lygeros
En marchant le long des berges de Trévoux il est difficile de ne pas percevoir l’omniprésence de ton absence. Le temps s’écoule comme le fleuve mais la ville demeure immobile comme la mémoire. Elle résiste à ta manière à la vague de l’oubli. Tous ces enfants, ces femmes et ces hommes qui vivent libres grâce à toi, qui vivent dans ce lieu de mémoire, sont l’aboutissement de ces années de résistance et de sacrifices. Combien est chère l’innocence ! Combien de morts pour si peu de vivants ! Seulement personne n’y changera rien. Les rares ne peuvent que se sacrifier pour les autres. Aucun autre rôle ne peut leur être attribué. Pourtant, tu as eu le choix à une époque. Mais était-ce vraiment un choix pour toi. La mort est trop douce pour des hommes comme toi. Seule la vie peut vraiment les blesser. Comme si elle n’avait été inventée que pour cette raison. Toi, dont l’horizon avait été brisé par une croix gammée, tu nous as offert en présent, notre futur. Cependant comment vis-tu ta mort dans notre passé ? Notre existence justifie-t-elle le fait que tu aies plus vécu ta mort que ta vie ? Combien nous voudrions le croire. Seulement la mort de la vie dans le quotidien ne cesse de mordre notre corps comme pour nous signifier sa victoire sur la résistance et le sacrifice. La plupart d’entre nous désespérés de mourir ne peuvent vivre et se contentent d’exister. D’autres vivent pour mourir sans aucun espoir. Tous te doivent leur vie mais ce ne sont que les derniers qui en ont conscience. J’espère seulement que tu te contenteras de cela car nous n’avons rien de plus à t’offrir Jean !