6784 - Le mendiant qui lisait
N. Lygeros
Un mendiant est assis à côté d’un banc. Autour de lui, les arbres du Parc de la Tête d’Or. Une passante marche sur le chemin qui jouxte le banc. Au début, elle ne prend pas garde au mendiant. Puis, après l’avoir dépassé, elle revient sur ses pas. Le mendiant toujours immobile, continue de lire. Elle se penche vers lui mais il ne bouge pas.
Femme : Êtes-vous mendiant ?
Le mendiant relève la tête lentement comme gêné dans sa lecture…
Mendiant : Oui.
Femme : Vous savez, cela ne se voit pas…
Mendiant : Est-ce si gênant que cela ?
Femme : J’ai failli ne pas vous voir…
Mendiant : Vous ne prêtez pas attention aux hommes ?
Femme : Aux hommes ? Un temps. Si, bien sûr… Silence. Mais je parlais de vous.
Mendiant : Vous ne me prêtez point cette propriété ?
Femme : Ce n’est pas ce que je voulais dire… Un temps. Pourquoi ne pas vous asseoir sur le banc ?
Mendiant : Il est pour les passants.
Femme : Et alors ?
Mendiant : Je réside ici.
Femme : Un mendiant résidant ! Un temps. Et en plus, vous lisez !
Mendiant : Vous auriez préféré que je tende la main ?
Femme : Cela aurait été plus normal !
Mendiant : Si ma situation était normale, serais-je ici ?
Femme : Vous marquez un point. Un temps. Mais cela aurait été plus adéquat et plus efficace… Dans le doute. Vous ne pensez pas ?
Mendiant : Je pense toujours…
Femme : Mais apparemment, cela ne change rien. Un temps. Dites-moi au moins le titre de votre livre.
Mendiant : Je peux vous en dire plus… Un temps. En tout cas, le titre, c’est Théorie de la propriété.
Femme : L’œuvre posthume de Proudhon.
Mendiant : Exactement
Femme : Vous êtes un drôle de mendiant !
Mendiant : Vous auriez préféré un mendiant drôle ?
Femme : Qu’importe, après tout vous êtes dans votre droit.
Mendiant : J’apprécie votre esprit.
Femme : Je voudrais vous donner de l’argent, mais je trouve cela…
Mendiant : Honteux ?
Femme : Oui…
Mendiant : Alors prenez mon livre en échange.