6234 - Transcription de la lettre 17 de Paul Faure. (03/10/1994)
N. Lygeros
Paris, le 3 Octobre 1994
Cher Nik Lygeros
En remerciement pour votre prêt des négatifs d’un voyage
mémorable aux îles d’où viennent les beaux arts, les belles lettres et
les sciences exactes, agréez, je vous prie, la reproduction d’une
conférence que je prononçais, il y a un an, à Héraklion, en mon grec
imparfait, sur le sujet qui vous intéresse.
Non, je ne lis pas les hiéroglyphes égyptiens : je ne manipule, depuis une
trentaine d’années, que l’alphabet consonantique de 24 signes + quelques
signes doubles ou idéographiques. C’est assez pour me dire qu’il
n’y a rien de commun avec l’alphabet à voyelles que les Grecs ont partiel-
lement emprunté aux Phéniciens vers l’an 780 av. J.-C., et qu’il n’y a là
rien de commun non plus avec les pseudo-hiéroglyphes crétois et les
écritures syllabiques crétoises, mycéniennes et chypriotes.
Il vous est inutile de venir écouter Pascal Vernus aux Htes Etudes.
Achetez plutôt son manuel, si le cœur vous en dit, ou consultez-le à la
Bibliothèque de votre Université, et, outre l’article de GÉO n°129, Novembre
1989, p. 118-133, auquel vous faites allusion, référez-vous à l’admirable
catalogue de l’exposition du Grand-Palais (de Paris), 7 mai-9 août 1982, intitulé :
« naissance de l’écriture : cunéiformes er hiéroglyphes », Editions de la réunion des musées
nationaux, Paris, 1982. C’est un gros volume de 383 pages, bien
illustrées et dont le texte est signé des meilleurs spécialistes.
En outre, traitent clairement et simplement de la naissance des
alphabets (égyptiens, cananéen, phénicien, hébraïque, grec archaïque)
en } 1°) Archéologia, n°167, juin 1982, p. 26-39 (naissance des écritures)
Bibliothèque 2°) Les dossiers de l’Archéologie, n° 12, sept.-oct.1975, p 91-106 (Liban)
se trouvait } 3°) l’Archéologue. Archéologie, dossier « L’écriture dans l’histoire »
dans les kiosques n°8, Août 1994, dossier établi par Maria Giulia Amadasi Guzzo,
tout récemment v. p. 25-53, de l’écriture égyptienne à l’imprimerie.
Comme l’alphabet égyptien ne note que des consonnes, le signe
du roseau (à lire de droite à gauche) ou (à lire de gauche à droite) n’a
d’équivalent qu’ un bref gémissement en nos langues et si l’on tient à le
vocaliser, come on l’a fait en démotique et à l’époque hellénique,
on l’assimile tantôt à un j, tantôt à un i, tantôt à un e, tantôt à un a.
Quand, dans un système strictement consonantique, on ne sait sur quelle
voyelle appuyer la consonne égyptienne, on convient de supposer un e générale-
ment. Tout cela, c’est le « b-a, ba » de nos lectures depuis 1821.
La dernière phrase de votre e lettre pose une question
plus importante encore : celle des rapports théologiques entre
la culture égyptienne er la culture minoenne, au XVe siècle av. J.-C.
Depuis quelque temps, au moins depuis mon article de Kadmos de 1968,
je me demande si le nom de Rhéa (͑Ρείη dans l’Illiade, ͑Ρεία chez Hésiode)
n’est pas simplement le féminin du nom du grand dieu solaire O
égyptien que l’on vocalise tantôt Ré, tantôt Râ, tantôt Ria (comme les
Phéniciens). Je me demande même maintenant s’il n’y a pas
quelque rapport entre la triade Nunima-Ma-Siru des dédicaces minoennes
(1650-1450) et le titre pharaonique Neb-Màt, Ré, que vous retrouvez
sur l’inscription que je vos envoie…
Quant aux origines de la monnaie métallique, tout le monde esst
d’accord pour les faire remonter au –VIIIe siècle et aux cités gréco-ly
diennes d’Ionie… en même temps que l’écriture alphabétique qui
est restée la nôtre. Mais il faut remarquer : 1°) qu’il a existé toutes
sortes de pré-monnaies en Méditerranée orientale, tout au long du
-IIe millénaire, les coquillages, le sel, l’ambre, les bijoux, les plateaux ou vases
en or offerts par les souverains en échange de services ou de vivres,
les parfums et les aromates, objets de troc (v. la Bible) ; 2°) que, d’après
les tablettes créto-mycéniennes de comptabilité, comme d’ailleurs
d’après les textes gréco-latins les plus classiques, les ouvriers et les
ouvrières ont été longtemps payés en vivres tant de mesures de figues,
de légumes secs, de grains (orge ou blé, d’huile ou de vin, par jour
ou par mois. Après tout, je n’ignore pas le système « au pair » ou
paiement en nature, pratiqué partout dans le monde encore aujourd’hui.
La grande invention des Grecs, voisins du Pactole, Tmôlos de Sardes,
c’est d’avoir créé une monnaie fiduciaire, en laquelle on pouvait
avoir confiance, parce qu’elle portait le cachet, la garantie de l’Etat.
Excusez-moi d’avoir été si long et si lent. Comme disait
Pascal, je crois, je n’ai pas le temps d’être bref.
Φιλικά χαιρετίσματα
PF
P. S. Ci-joint les négatifs que m’aviez confiés. Mes compliments.
Je n’ai fait tirer que l’image de la porte du temple d’Apollon (ou Dionysos ?)
à χώρα de Ναξός, et je la garde en souvenir de ma rencontre de l’obsidien-
ne, de la caverne de Zeus, de Dionysos et d’Ariadne et de Mme Hood à
Naxos en 1954 ; en souvenir de vous, quarante ans plus tard aussi.