5722 - Sur les génocides et la comparaison absurde
Ν. Lygeros
Dans le cadre des recherches sur les génocides, nous sommes souvent amenés à répondre à la comparaison suivante : la Shoah est-elle comparable aux autres génocides sur le plan des réparations ? Ce genre de questions qui pose le problème de la comparaison n’est jamais dépourvu de sous-entendus. Il est donc indispensable de montrer l’absurdité d’une telle comparaison. D’une part cette comparaison tend à opposer la cause juive aux autres et d’autre part, les autres causes se placent dans un contexte d’infériorité. La conséquence de cette double tendance, c’est la création d’un front au sein des peuples génocidés. C’est contre cela que nous nous élevons en mettant en garde contre ces abus de langage qui reflètent une mauvaise perception de la réalité.
La cause juive est radicalement différente des autres, non pas en raison d’une cause intrinsèque, mais bien extrinsèque et celle-ci est simple. La différence fondamentale se situe au niveau du Procès de Nuremberg. C’est cette différence qui va faire la différence et rendre cette comparaison absurde. La différence ne se situe pas au niveau du nazisme, du stalinisme ou du kémalisme qui sont essentiellement semblables sur le plan humain, en raison du crime contre l’humanité qu’ils ont commis. La différence provient de la défaite du nazisme, de l’effondrement du stalinisme et de la perpétuation du kémalisme. La différence provient des bourreaux et non des victimes.
La défaite immédiate du nazisme juste après le génocide des Juifs, est la cause de la différence. Il ne s’agit pas de dignité humaine mais de guerre dont les conséquences sont d’ordre géostratégique et géopolitique. L’autre différence de taille qui rend complètement absurde la comparaison initiale, c’est que l’Allemagne en tant qu’état démocratique a accepté d’être le successeur au sens légal du terme, de l’état nazi. Elle a donc accepté la condamnation du procès de Nuremberg et via ce biais, elle s’est placée dans le cadre du processus de réparation avec les premières étapes qui ne sont autres que la reconnaissance du génocide et la pénalisation de sa négation. Alors que ni la Russie ni la Turquie n’ont accepté de succéder au stalinisme et au kémalisme dans le sens de la reconnaissance des dettes envers l’humanité. Les peuples génocidés ne sont donc pour rien dans cette double réticence qui aboutit à l’absurdité de la comparaison. La Shoah est pour le moment le seul génocide reconnu par la communauté internationale et surtout par l’état génocideur. Si une comparaison doit être effectuée, elle n’est possible qu’au sein du cadre des génocides qui ne sont pas encore officiellement reconnus par tous. C’est dans ce cadre qu’il faut examiner l’efficacité des approches quant à la reconnaissance du génocide. Ici la comparaison a non seulement un sens mais elle permet de plus, d’élaborer une véritable stratégie.