548 - L’oeuvre : de la consistance à l’unité
N. Lygeros
Bien qu’il soit difficile par nature de cerner l’unité d’une oeuvre à large spectre, il existe un moyen, c’est la consistance. En effet, lorsque les opus représentent un nombre supérieur à plusieurs centaines l’analyse directe est pour ainsi dire impossible. Aussi l’idée même d’unité de l’oeuvre peut sembler une utopie. L’oeuvre est une sorte de réseau complexe qui ne peut être interprétée que dans un cadre holistique qui couvre par définition l’étendue de son spectre. Aussi si l’on ne dispose que d’une vision locale, l’outil de la consistance est nécessaire.
Le problème est de comprendre l’ensemble en n’ayant accès qu’à la partie. Pour avoir une chance de parvenir à un résultat tangible, il faut observer des propriétés héréditaires qui traversent l’ensemble de la structure de l’oeuvre. Celle-ci considérée comme un tout modulaire dont les composantes sont en relation diachronique, apparaît comme un univers dont il faut chercher les éléments universels pour ne pas dire universaux.
La notion de leitmotiv est donc centrale dans la recherche de l’unité via la consistance. Ceux-ci doivent être convergents comme dans le cadre d’un mix stratégique afin de mettre en évidence l’unité de l’oeuvre. Il ne faut donc pas se contenter d’une consistance locale et thématique. Celle-ci doit être pluridisciplinaire ou au moins dôté d’une structure robuste qui lui permet de traverser sans dégénéréscence des parties du tout. Il ne faut donc pas chercher les liens naturels qui existent entre les opus mais au contraire les schémas mentaux plus profonds qui sont le support neuronal du réseau.
Ainsi la recherche d’éléments communs entre des parties qui semblent le plus éloigné possible est donc un critère efficace puisqu’elle place le schéma mental dans un cadre extrême qui ne peut vivre que par son existence. Ensuite, une fois établie l’existence d’un schéma mental il faut rechercher les liens de connexité qui traversent l’oeuvre. L’explicitation des plus longues chaînes permet la mise à l’évidence de l’oeuvre à grande échelle. Un détail peut-être nuisible mais un ensemble de détails cohérent est un indice effectif de la cohérence globale.
Cette méthodologie est a priori applicable à toute oeuvre dont la taille la place dans la catégorie des réseaux complexes car en deçà cette approche est plus coûteuse que celle de l’analyse linéaire. De plus si l’oeuvre a atteint une masse critique, elle peut vivre en elle-même. Elle représente dans ce cas un univers en expansion. Dans ce cas, il est nécessaire de s’attacher à l’aspect dynamique. Les structures qui se fendent pour en engendrer d’autres sont des éléments fondamentaux. Elles donnent la signature de l’évolution de l’oeuvre. A l’image du style qui est une propriété globale mais figée, l’unité n’est visible que lorsqu’elle est comprise.
Enfin même si la biographie de l’auteur de l’oeuvre est un élément indispensable dans la compréhension globale, elle ne constitue pas pour autant la clef de voûte de l’oeuvre. Car la masse critique de celle-ci est aussi révélatrice de la profondeur de l’univers mental. Dans les cas extrêmes, l’univers mental est créateur d’univers. La vie au sein de la société n’est donc qu’un paramètre, l’essentiel est ailleurs. D’où la difficulté de la recherche de l’unité. En effet dans ce cadre, l’auteur ne peut communiquer sa pensée qu’avec ses semblables, seulement parfois ces derniers ne sont pas encore nés. Ainsi l’oeuvre les attend et sait qu’elle sera leur histoire.