5155 - D’une saison en enfer aux illusions perdues
N. Lygeros
Dans le pays des droits de l’Homme et des Lumières nous n’avons peur ni des paradoxes ni des absurdités et encore moins des oxymores. Nous aimons donner des leçons sur le plan humanitaire, mais nous n’aimons en recevoir. Nous parlons avec aisance des réfugiés dans toutes les régions du monde mais nous éprouvons des difficultés à parler du droit du sol. Cependant tout cela n’est rien par rapport à notre œuvre sur la reconnaissance des génocides. Nous sommes des résistants mais nous adorons les pastilles de Vichy. Nous reconnaissons la Shoah mais nous acceptons sans rien dire les profanations des cimetières juifs. Heureusement que Camus est mort pour ne pas voir nos tergiversations avec le fanatisme. Et puis nous allons plus loin cette fois en proposant à notre peuple malmené par la crise, en recherche d’un devenir la saison de la Turquie, après avoir fait l’année de l’Arménie. Nous sommes pour l’égalité de tous devant tout et ce, même pour le bourreau et la victime. Qu’importe qu’un régime autoritaire, laïc et religieux à la fois, nie l’existence du génocide des Arméniens. Nous sommes pour la liberté d’expression et nous osons à peine mentionner le problème de la pénalisation. Nous connaissons bien pourtant les Arméniens, les Assyro-Chaldéens, les Grecs, les Juifs, les Kurdes et les Pontiques. Tous ces peuples ont subi la main séculaire de l’Empire Ottoman, des Jeunes Turcs et de Kemal. Aucun d’entre eux n’est pourtant reconnu comme un crime par le gouvernement de la Turquie. Et pourtant nous proposons avec une innocence qui ferait pâlir le Candide de Voltaire, une saison en enfer à tous ces hommes, ces femmes et ces enfants sous prétexte que nous sommes ignorants de leur situation depuis des siècles. Nous prétendons aller de l’avant en oubliant le passé comme si l’avenir pouvait se construire uniquement sur le présent. La réalité historique n’est pas une chaîne de Markov. Et les justes comme Jaurès sont là pour nous le rappeler. Le cadavre dans la cave n’est pas une bouteille de vin qui se bonifie avec le temps. Au contraire, le temps est avec nous et avec le droit international, les droits de l’Homme. Un crime contre l’Humanité est imprescriptible. Aussi nous aurons beau faire la promotion de cette saison, nous nous berçons d’illusions perdues. Rien ne pourra changer la détermination des peuples quant à la justice. Cette mascarade de l’oubli et de l’indifférence ne peut modifier le statut du bourreau et du collaborateur. Notre pays c’est celui de la solidarité, celle qui nous rallie aux peuples qui ont souffert et non celui de la collaboration avec des régimes qui construisent leurs temples sur les squelettes des victimes du génocide.