4808 - Sur les valeurs des maîtres
N. Lygeros
« Et je ne dis pas cela pour les maîtres, mais pour ceux qui ne désirent pas enseigner, et qui certainement ne sont pas des maîtres, car qui n’enseigne pas a peur qu’on ne lui enlève le pain, et qui estime le gain abandonne l’étude de ce qu’enseignent les œuvres de la nature, maîtresse des peintres. Et ceux-là oublient ce qu’ils ont appris, et ce qu’ils n’ont pas appris, ils ne l’apprendront plus jamais. »
Dans le cadre de l’éducation contemporaine, nous sommes tellement attachés à faire plaisir aux psychologues et aux sociologues, que nous en perdons la nature essentielle de l’enseignement. Nous nous concentrons tellement sur les élèves que nous axons tous nos principes sur eux et nous oublions les caractéristiques de l’enseignant. Nous parlons de professeurs et d’instituteurs mais nous regardons avec méfiance les maîtres. Le plus surprenant de tout cela, ce n’est pas l’existence de cette tendance mais l’évolution de l’humanité malgré cela. Tous ces spécialistes de didactique qui, bien souvent, ne sont spécialistes que de cela, tentent de nous faire croire qu’ils détiennent toutes les solutions à des problèmes, qui ne sont nullement fondamentales.
Pour reprendre les termes de Leonardo da Vinci, tous ces professionnels ne sont pas des maîtres. La massification de l’enseignement n’est pas nécessairement une démocratisation des structures et des institutions. Nous confondons le travail de masse avec l’œuvre de qualité. Nous transformons en corvée, le programme, et nous sacrifions sans aucune gêne des génies comme Abel, Bolzmann, Galois, Majorana et d’autres, car ils ne pouvaient résister aux personnes sociales et psychologiques. Nous plaçons la médiocrité sur un piédestal et nous désirons qu’elle serve de modèle à des générations d’élèves et d’étudiants qui n’ont aucun but, et qui ne trouvent dans l’école et l’université que les caractéristiques de l’usine. Nous recherchons des solutions générales à des problèmes mineurs et nous en faisons notre credo. Nous luttons officiellement contre l’ignorance mais nous sommes prêts à écraser la moindre différence, le moindre talent. Nous plaçons la liberté dans le capitalisme, l’égalité dans le communisme et la solidarité dans le misérabilisme. Néanmoins, nous n’avons de cesse de prôner que nous suivons notre devise. Pourtant si nous examinons l’histoire, nous nous apercevons que l’évolution réelle des connaissances suit un modèle anarchiste. Si Leonardo da Vinci a influencé François Ier, c’est grâce au modèle du disciple–maître, que ce dernier voyait dans Alexandre et Aristote. Et si cette influence a produit une réalisation, c’est celle du Collège de France qui ne correspond à rien de tout ce que disent les spécialistes en didactique.
Nous connaissons des modèles épistémologiques comme ceux de Popper, de Kuhn, de Lakatos ou de Feyerabend mais nous n’en avons que faire car ils sont bien trop révolutionnaires à nos yeux. Nous avons transformé la révolution de Ferry en dictature de la masse. Dans tout cela, où sont donc les valeurs des maîtres ? En quoi suivons-nous leur enseignement. Le lycée et l’académie ne sont plus des écoles de pensées mais des institutions. Alors comment espérer créer une œuvre dans ce domaine. Faut-il nous contenter de l’athlétisme ou de la musique pour accepter leurs modèles car rien n’est prévu de ce genre dans l’enseignement classique ? Tout cela semble sans doute n’être que du verbiage de la part d’un chercheur exaspéré par la médiocrité du système. En réalité ce n’est que le témoignage des maîtres à travers le temps. Car il est indispensable de faire comprendre à certains même si cela doit se restreindre à des surdoués que l’humanité n’utilise pour sa propre évolution que l’œuvre des génies et pour se transformer que l’œuvre de génies universels, le reste n’est que détails pour les spécialistes et les professionnels de l’ignorance et de l’incompétence.