4803 - Sur les conseils techniques de Leonardo da Vinci
N. Lygeros
« Pour augmenter le relief dans la peinture, tu pourras mettre, entre la figure peinte et l’objet visible qui en reçoit, l’ombre, une ligne de lumière claire qui sépare la figure de ce qu’elle va ombrer… »
Ces séparateurs lumineux sont essentiels à la mise en relief car ils mettent en évidence l’effet de bord. Ce dernier n’est plus simplement une frontière linéaire mais un véritable espace qui a de la profondeur. Cette technique s’applique bien évidemment à la représentation humaine. Ainsi Leonardo da Vinci explique:
« Et souvent, pour les membres un peu détachés de leur corps, surtout quand les bras traversent la poitrine, fais qu’entre l’impact de l’ombre du bras sur la poitrine et la partie ombrée du bras lui-même, il y ait un peu de lumière qui semble passer par l’espace entre la poitrine et le bras; et plus tu veux que le bras paraisse distant, plus tu étendras cette lumière… »
Cette profondeur de champ, qui provoque la perspective se traduit par la luminosité de l’espace. L’intensité de la lumière permet de créer de la distance. De cette manière, même si cela semble quelque peu abstrait au départ, la lumière représente une règle spatiale. Elle permet de compenser la projection sur la toile qui engendre une perte d’information, via un processus d’ordre mental qui s’appuie sur l’intensité lumineuse. Nous avons donc un moyen de rendre l’espace grâce à la matière lumineuse.
« Si tu dessines un objet, songe, quand tu compares les intensités lumineuses des parties éclairées, que l’œil se trompe souvent, prenant pour plus clair ce qui l’est moins, et cela vient de la comparaison entre parties voisines. »
Cette fois, Leonardo da Vinci se préoccupe des effets secondaires de l’interaction entre la lumière et le mental. Il ne se contente pas de l’utilisation passive de l’outil lumière pour rétablir l’espace. Il est conscient que l’instrument mental est lui-même sensible à la lumière et qu’à travers son interaction apparaît la vision. La vision n’est pas neutre. Car l’homme ne voit que ce qu’il comprend. Dans l’autre sens, le plus constructif, cela permet aussi d’exploiter l’atmosphère pour créer une ambiance favorable à la représentation de l’objet et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un humain.
« Si tu disposes d’une cour que tu puisses couvrir d’une toile de lin, cette lumière sera bonne. Ou bien, quand tu veux faire le portrait de quelqu’un, fais-le par mauvais temps ou vers le soir, et place le modèle avec le dos contre un des murs de cette cour. »
Cette fois c’est le contexte qui est créé afin de mettre en avant le personnage dessiné. Nous avons donc un équivalent technique de la istoria. Le cadre lumineux se transcrit sur l’objet comme l’histoire raconte la vie de la personne.
« Observe dans les rues, quand le soir tombe par mauvais temps, les visages des hommes et des femmes, quelle grâce et délicatesse s’y remarque. Tu auras donc, peinte, une cour spécialement aménagée avec des murs teints en noir et un toit qui fait un peu saillie au-dessus de ce mur ; que cette cour soit large de dix brasses et longue de vingt et haute de dix, et lorsqu’il fait soleil, il conviendra de la couvrir d’une toile. Ou bien peins ton tableau vers la tombée du soir, quand il y a des nuages ou du brouillard, et cette atmosphère est parfaite. »
L’essence donc de la peinture n’est pas simplement l’homme peint en portrait mais tout l’ensemble lumineux qui permet de travailler l’éclairage mais aussi d’éclairer la nature humaine d’une représentation qui demeure fidèle et réaliste avant tout en raison de son caractère mental. La vision de Leonardo da Vinci correspond en tant que schéma mental à une véritable théorie mentale de la lumière.