4641 - Sur le visage de Silence
N. Lygeros
Silence est le nom du personnage muet de la pièce de théâtre : Cinq mouvements pour un silence. Il n’apparaît que dans le cinquième mouvement en tant qu’alter ego de Sophie, la dernière des survivantes du génocide. Ainsi cette dernière n’est pas seule malgré l’indifférence et l’oubli de la société. Elle n’est pas non plus murée dans le silence et ne vit pas dans l’ombre, car Silence la suit comme son ombre. Elle n’a pas véritablement besoin de lui parler pour se faire comprendre. Tout est dit par les mouvements. Telle est la musique de Silence. Celui-ci pourrait être le joueur d’échecs de Stéphane Zweig ou le portrait de Carlo Michelstaedter, peu importe. L’essentiel, c’est sa présence aux côtés de la survivante. Un simple regard suffit pour communiquer. Car elle sait tout et lui sait comment savoir. Ils représentent la version moderne de Prométhée et Athéna et reprennent ainsi le thème de la mémoire du futur. C’est aussi le couple du juste et de la survivante dans un monde où il n’existe plus de victimes. Il est sans doute difficile de percevoir son rôle sans avoir lu la pièce. Néanmoins il est possible de l’interpréter comme le silence dans un morceau de musique. Il n’est pas là pour être entendu mais pour permettre aux autres de se faire entendre. Son âme, c’est le son. Il écoute sans perturber. Il pense sans écouter le bruit. Il représente donc une forme théâtrale de l’hymne à la joie de Ludwig van Beethoven. Sophie sait qu’elle peut compter sur lui. S’il se place au-dessus de son épaule, c’est toujours pour la protéger. C’est le garde du corps d’un être qui a déjà vécu la mort, et qui s’interroge sur la vie à mener. L’absence de paroles évite le malentendu camusien et le piège de l’absurde. Au contraire Silence manie le raisonnement par l’absurde et donne ainsi sens à la présence de l’absence. Il évolue dans le temps et se moque de l’espace. Il appartient à l’humanité et sait que Sophie constitue une partie de sa mémoire. Il est l’intelligence de sa mémoire. Ce duo silencieux caractérise le cadre du cinquième mouvement de la pièce. Il donne pour ainsi dire le la. Aussi lorsque les autres personnages font irruption dans la pièce ainsi que la pièce fait irruption dans notre vie, nous sommes déjà dans la pièce. Comme si l’auteur nous avait déjà attribué un rôle. Nous aussi, nous sommes silencieux et Silence nous montre la voie. Il ne s’agit pas de compatir pour la survivante. L’essentiel du message se trouve dans l’empathie, cette propriété de l’altruisme. Car Silence est l’autre, non par l’autre je d’Arthur Rimbaud, ni les autres de Jean-Paul Sartre, mais l’autre dont la vie consiste à protéger l’un en l’occurrence l’une et en réalité l’humanité.