4541 - Sur l’indigo d’Arménie
N. Lygeros
Quel sens donner à l’indigo d’Arménie ? Doit-on y trouver un symbole national ? Une énigme littéraire ? À moins que l’objectif ne soit plus profond encore. Il faut donc chercher ailleurs que dans le drapeau historique, remonter à une période plus ancienne et aller plus loin dans l’avenir comme si le génocide était un signe sans être un stigmate. Il faut donc aller au delà malgré la barbarie de l’oubli. Car nous sommes toujours là malgré la mort de l’horreur. Dans l’étrangeté de cette couleur nous ne recherchons pas la solitude mais la rareté. Il ne nous suffit pas de quelques tubes de peinture, malgré la présence du violet de cobalt, pour créer l’indigo d’Arménie. Ni le bleu de Prusse, ni le jaune de Naples ne pourraient nous contenter dans cette quête à laquelle un homme comme Jacques Brel serait si sensible après son interprétation du Don Quichotte de Miguel de Cervantès. Car les villes s’éclabousseraient de bleu dans l’ocre de la terre et le rouge du tuf. Alors pourquoi ne pas retourner à Berzor dans l’Artsakh pour retrouver ces couleurs dans l’ancien musée où s’entassaient avec amour les vestiges antiques, les broderies traditionnelles et les tableaux de peinture. Sans chercher à s’appesantir sur un point particulier, n’est-il pas essentiel de perdre son temps dans la contemplation d’un silence qui a désormais un sens ? C’est uniquement de cette manière qu’il est possible de se souvenir de ce jeune garçon que nous avons rencontré. C’était le petit-fils de la directrice du musée. Il voulait savoir sans oser demander, quel était le sens de cette dédicace poétique. Il aimait être près de nous comme si notre présence suffisait à le réjouir. Nous étions une nouvelle antiquité pour lui. Seulement nous étions mobiles et il préférait l’immobilité. Cela convenait mieux au musée mais aussi à la bibliothèque du bureau de sa grand-mère. Il ne s’inquiétait que de notre départ et non de la pauvreté de notre scène. C’est dans cette double observation que nous avons vu l’indigo d’Arménie, comme un signe de reconnaissance. Était-ce la couleur de la rencontre d’un caméléon avec un hippocampe, rien n’est moins improbable. En tout cas, la reconnaissance était certaine malgré la différence de connaissance. Était-ce semblable à la rencontre d’un mort avec un non encore né, ce n’est impossible que pour la société. Alors l’humanité décide de se souvenir pour ne pas perdre le tableau de la sérénité d’un silence oublié dans la lecture d’un parchemin non encore devenu palimpseste. Ce n’était donc plus un secret, les hommes avaient survécu et étaient capables d’envisager à nouveau l’avenir sans se contenter de vivre dans la vente d’un présent toujours absent dans l’essentiel. Oui, c’était cela le sens de l’indigo d’Arménie : un zeste de blues dans un doudouk de combat, une mémoire dans un chant patriotique et enfin un enfant trouvé dans un musée perdu dans l’oubli des négociations de l’absurde.