4391 - Dans le café de nuit
N. Lygeros
– Ne parle pas si fort !
– Pourquoi donc ?
– Ils vont nous entendre…
– Qui ?
– Eux…
– Ils sont comme tout le monde… Ils dorment à cette heure-là.
– Lui aussi ?
Il se penche pour examiner une personne accoudée à une table.
– Peut-être pas…
– Alors il pourrait nous entendre…
– Nous n’avons rien fait de mal !
– Justement !
– Justement quoi ?
– Cela est suspect pour la société…
– Tu plaisantes ?
– Point du tout… Un temps. C’était ainsi dans les mines.
– Ici c’est différent !
– Je ne comprends pas.
– C’est le pays de la lumière… Regarde les lustres …
– Ils brillent drôlement.
– Surtout celui-ci…
– Nous devrions partir… Il est tard…
– Le tenancier ne semble pas pressé.
– Personne ne viendra jouer au billard avec lui.
– Il le sait bien.
– Alors que fait-il ainsi ?
– Il pose pour nous.
– Pour nous ou pour toi ?
– Je ne sais pas.
– Tu vas peut-être le peindre alors…
– C’est possible.
– Et les deux amis à l’autre table ?
– Je n’osais y penser.
– Ose, Vincent, ose… Grâce à toi, le monde est plus beau.
– Dans mes tableaux… mais dans la vie…
– La vie est passagère …
– Que veux-tu dire ?
– Ne donne pas de l’importance à la fragilité du présent.
– À quoi alors ?
– À tes tableaux ! Nous n’existerons qu’à travers eux pour les hommes de l’avenir.