4087 - L’art de Vincent
N. Lygeros
« L’art est si riche, si une personne peut seulement se souvenir de ce qu’elle a vu elle ne manquera jamais d’alimenter ses pensées et ne sera plus vraiment seule, jamais seule. »
La peinture de Vincent van Gogh n’est pas seulement peinture. C’est un véritable univers. Car l’art de Vincent n’est pas uniquement une manière de voir le monde. C’est un monde en lui-même. De là à dire qu’il exprime littéralement la noosphère de l’artiste, il y a un pas que nous hésitons à franchir. Non pas par peur de trahir sa pensée ou en raison d’une connaissance incomplète de l’œuvre, mais tout simplement à cause du fait que cet univers n’est pas borné même s’il est fini. L’ensemble des tableaux dégage une atmosphère où l’intimisme est une réalité palpable. Vincent ne tente pas de dissimuler ses incertitudes ou même ses pensées. Il esquisse l’indicible car il ne peut faire autrement. Sinon il ne pourrait exister. Son univers n’est pas social comme le voudraient certains. Il a un rapport direct avec la nature. Il n’y a pas cet insupportable filtre que rejette Leonardo da Vinci. Vincent nous fait découvrir son monde intérieur. Si nous n’examinons que les portraits, cette idée pourrait sembler être un truisme. Seulement elle s’applique aussi à ses paysages. Ceux-ci ne sont pas forcément aussi célèbres que d’autres toiles. Cependant l’étude des paysages permet de décrypter non seulement les schémas mentaux qui gouvernent l’art de Vincent mais aussi sa perception du monde ou plutôt le monde de sa perception. Car l’art de Vincent est, avant tout, cela. Le monde extérieur n’est qu’un prétexte, sincère et non de mauvais aloi, pour examiner la profondeur de son monde intérieur. C’est pour cette raison que nous pouvons utiliser l’expression paradoxale de « paysages intérieurs » pour qualifier l’un des schémas mentaux les plus profonds de Vincent. Ceci explique entre autres le choix des couleurs qui est bien plus révélateur de la mentalité de Vincent au moment de l’exécution du tableau, que de la réalité extérieure prétendument objective. C’est en ce sens que la peinture de Vincent est mentale. Il ne s’agit pas d’une opposition avec la notion de sensibilité car cela n’aurait pas de sens. Chez Vincent, le mental et la sensibilité sont intimement liés au point qu’il est absurde de tenter de les séparer. Cette difficulté explique sans doute la compréhension tardive de son œuvre par des sociétés qui ont succédé à la sienne qui devait mourir dans l’ignorance et l’indifférence. Vincent a facilement été caractérisé comme un malade mental alors que s’il était réellement malade, cela ne pouvait être dû qu’à la société. Aussi si nous désirons vraiment le traiter comme un malade, il serait préférable de le qualifier de malade social. Cependant l’art de Vincent ne doit pas pour autant être interprété comme une échappatoire, mais comme le sacrifice d’un homme sans doute trop humain pour la société qui l’a vu naître et qui devait le voir mourir.