3659 - Le substrat scientifique de la peinture de Leonardo da Vinci
N. Lygeros
Dans l’histoire de l’art, nous sommes habitués à l’existence des singularités. Mais cette connaissance finit par nuire à notre jugement car elle tend à nous faire penser que tous les artistes sont uniques. Or ce n’est pas le cas. Ils ont sans doute leur personnalité mais cela ne signifie pas pour autant l’implication d’une unicité, pas même d’une singularité. Malgré tout nous persistons à analyser l’œuvre des artistes de manière comparable. Car en les rendant uniques nous finissons par les voir comme semblables. Ainsi nous en arrivons à l’absurdité suivante. Nous analysons l’œuvre picturale de Leonardo da Vinci comme celle d’un artiste unique mais semblable à tous les autres. Or il y a une différence fondamentale. Leonardo da Vinci ne conçoit pas la peinture et surtout la sienne comme le cheminement et l’évolution d’une pensée. Elle est tout simplement l’aboutissement d’une véritable recherche scientifique et cognitive. Il suffit de considérer son Trattato della pittura pour le comprendre et saisir la suffisance de ceux qui pensent le connaître uniquement à travers sa peinture. Leonardo da Vinci voit sa peinture comme la modélisation du monde, avec pour seul maître la nature elle-même. Il ne copie pas, il crée à l’image de celle-ci. Aussi il recherche systématiquement la structure qui supporte la surface. Son traitement de la peau humaine n’est pas une allégorie ou même une fantaisie artistique, elle est le résultat de ses études anatomiques. Leonardo da Vinci a disséqué des dizaines de cadavres humains afin de comprendre la structure musculaire et osseuse de l’homme. Il ne s’est pas contenté des proportions de Vitruve comme le pensent les prétendus spécialistes de son oeuvre qui ne sont en fin de compte que des spécialistes de l’histoire de l’art et ce, dans le meilleur des cas. Leonardo da Vinci a aussi visualisé ce qui ne peut l’être dans la peinture. Ses représentations des appareils génitaux de l’homme et la femme semblent au moins superfétatoires pour le spécialiste d’histoire de l’art alors qu’elles sont essentielles à celui qui cherche véritablement à connaître sa pensée et surtout son mode de fonctionnement. Leonardo da Vinci n’examine pas seulement l’objet, il étudie la machine. Il fonctionne en mécanicien de la nature humaine et il base sa mécanique sur des fondements mathématiques. Il travaille avant tout sur les fondations et c’est en ce sens qu’il peut être considéré comme l’un des premiers scientifiques; même s’il considère que la peinture représente le sommet de cette connaissance. Ainsi l’analyse de sa peinture sans le substrat scientifique se heurte au phénomène de l’iceberg. Car ce type d’exercice consiste à contempler le phénomène sans en comprendre la cause. Or cette cause est présente dans tous les manuscrits de Leonardo da Vinci. Car dans ces derniers, il ne cache rien puisque ce sont uniquement des écrits pour sa gouverne. Le comble dans cette affaire, c’est la rareté des hommes qui lisent ses manuscrits alors que tous pensent connaître son œuvre. Or il est évident que ce n’est pas à l’aide d’un produit fini qui ne peut être véritablement analysé que de manière superficielle, qu’il est possible de comprendre le processus de création de Leonardo da Vinci. Car même ses modèles ne sont que des prétextes et des circonstances particulières et sociales. Sa pensée ne cesse de rechercher la science pour comprendre l’essence du monde que les autres se contentent de contempler.