3652 - Le sacrifice de la tour
N. Lygeros
« Mieux vaut pays pillé que terre perdue ». Tel avait été le mot d’ordre du nouveau roi. La chose était simple en soi. C’était l’aboutissement d’une stratégie qui était née de la nécessité d’éviter les désastres des grandes batailles où la noblesse française n’avait pu se discipliner. Le comte savait que le roi avait raison. Seulement il était conscient du sacrifice que cela représentait pour leur peuple. Le roi était en train de jouer une terrible partie d’échecs et il devait sacrifier l’une de ses tours. Auparavant ses pions supporteraient tout le poids de l’attaque anglaise. Il fallait résister au pillage. La tactique de la terre déserte avait du sens mais aussi un coût, un coût exorbitant. Les paysans étaient aux abois, la terre exsangue. Les forteresses prenaient désormais tout leur sens dans cette guerre du temps. Il fallait user l’armée anglaise en refusant le combat. Celui qui était certain de perdre dans un affrontement, ne pouvait vaincre que d’une seule manière : il ne devait pas jouer. Et le roi de France ne jouait plus. Peu d’hommes nobles pouvaient réellement comprendre de quoi il en retournait. Car ils ne voyaient que les insurrections populaires et le désordre. Néanmoins, c’était justement dans ce désordre apparent que se reconstituait peu à peu l’armée française et que s’organisait la résistance sur l’ensemble du territoire. La terre souffrait et les hommes saignaient mais aucun d’entre eux n’abandonnait ce jeu d’échecs sans joueur. Il ne s’agissait pas d’une simple partie car la guerre était totale. C’était la défense française contre l’ouverture anglaise. Le jeu positionnel durerait des mois pour sauvegarder les ressources françaises et épuiser les réserves anglaises. Les pions étaient mal en point. Mais le comte avait avec lui ses deux cavaliers et la tour était en place. Les Anglais s’en prendraient à l’autre. Ils ne pouvaient résister à l’attirance du donjon. Le comte se devait de protéger ce lieu sans espace qu’était le temps. Tout l’espace français serait confiné dans la Cité, cible ultime des Anglais. C’était la case du roi. Combien de pions allaient être sacrifiés pour mettre en place cette manœuvre ? Il fallait accepter le fait que cela n’avait aucune importance pour la partie. La France recherchait le pat pour éviter le mat. Tout son jeu consistait à ne plus jouer pour ne pas être la perdante. La tour n’était donc que le commencement d’une grande manœuvre. Afin de ne pas perdre le royaume, la terre de France deviendrait un désert mais un désert tactique. Comment l’expliquer à la population ? Comment justifier les victimes ? Dans l’instant, c’était tout simplement impossible. Tout redeviendrait possible dans le temps. Le comte et ses deux amis suivirent les troupes anglaises afin de les prendre à rebours. Le village avait été rasé mais sans perte humaine. Cette mission accomplie, ils mirent en place le processus de décimation. Ils s’infiltraient dans la queue des troupes et transformaient chaque erreur en gain. Ils étaient les forces de friction. Car c’étaient les seules capables de résister au mouvement. Cette technique d’attrition des forces anglaises était l’unique moyen pour soutenir à distance la future résistance de la tour principale. Plus les Anglais seraient usés par des frictions prétendument internes moins ils soutiendraient le siège de la Cité. Tel était le plan dans les grandes lignes. Seulement les surprises ne manquèrent pas.