3644 - La surface en tant qu’interface chez Leonardo da Vinci
N. Lygeros
Du point de vue géométrique ou même topologique, la surface appartient à l’objet. Elle est considérée comme sa frontière. Il est donc possible pour un objet fermé, de l’interpréter comme la différence ensembliste entre l’adhérence et l’intérieur. Aussi de manière plus formelle nous avons .
Cela ne signifie pas pour autant que cette expression n’ait pas de sens pour un objet ouvert. C’est même dans ce cas que nous pouvons modéliser l’approche empirique de Leonardo da Vinci. Son approche est la suivante. Elle est décrite dans le Codex Atlanticus.
“Un corps est une chose dont les limites forment la surface.
La surface n’est point une partie du corps, ni une partie de l’air ou de l’eau qui l’entoure, mais une frontière commune… dans laquelle se termine le corps en contact avec l’air, et l’air en contact avec le …”
Même si cette description n’est pas complète, l’idée de Leonardo da Vinci est limpide. Il considère la surface comme une interface. De manière plus formelle, il décrit la frontière commune de deux ouverts Et il est vrai que du point de vue mathématique, cette frontière n’appartient à aucun des ouverts. L’avantage de cette approche, c’est qu’elle permet de théoriser la technique du sfumato. Car ce dernier n’est pas seulement une limite, mais bien une frontière commune et donc en d’autres termes, une interface.
Toujours dans le Codex Atlanticus nous retrouvons un passage sur le même thème où Leonardo da Vinci est encore plus clair quant à sa vision de la nature de la surface.
“La surface est le point de contact (contingenzia) des extrémités du corps dans l’air, conjointement avec les extrémités des corps que revêt cet air; elle est ce qui borne cet air et forme avec lui la frontière des corps qu’il environne. Elle le borne au moyen des corps qu’elle revêt et ne participe ni du corps qui l’entoure ni du corps qu’elle environne. Elle est plutôt la véritable frontière commune à chacun d’eux et ce qui sépare un corps de l’autre, comme par exemple l’air ou l’eau d’avec le corps inclus en eux.”
Pour être plus explicite, nous devons signaler le fait que Leonardo da Vinci n’examine que les cas du contact entre un solide et un liquide d’une part, et celui du solide avec un gaz d’autre part. Il n’explique donc qu’une partie de la théorie mathématique. Ce point de vue est compréhensible si nous prenons conscience du fait qu’il tente par ce biais de formaliser sa technique du sfumato. Il est intéressant de constater que son approche est plus technique dans le Codex Atlanticus que dans le Trattato della pittura. En effet dans ce dernier ouvrage, il applique déjà un principe. Ce qui préoccupe Leonardo da Vinci, c’est le traitement particulier qui doit être effectué sur cette sorte de voile qui pare les visages de ses peintures, mais aussi certains de ses paysages. Il ne se contente pas de considérer la surface des choses mais véritablement l’interface des objets. À l’aide de ces remarques pertinentes sur la nature de cette frontière, il montre la nécessité d’un traitement particulier. Sur le plan pratique, cela revient à effectuer une superposition de couches transparentes à la manière d’un glacis, afin de former une entité translucide. L’importance de la surface est donc mise en exergue par Leonardo da Vinci, et par ce biais il démontre une fois de plus la justesse du schéma mental suivant : nous ne voyons que ce que nous comprenons.