3431 - Dialogue sans espoir

N. Lygeros

Fiodor : Pourquoi réponds-tu toujours avec une telle franchise?

Nikolaï : Car nous allons mourir…

Fiodor : N’est-ce pas le cas de tout le monde?

Nikolaï : Seulement qui le croit?

Fiodor : Les hommes…

Nikolaï : Et combien sont-ils dans cette masse anonyme?

Fiodor : Dieu seul le sait.

Nikolaï : Il faudrait qu’il existe pour savoir. Et s’il existait, il ne voudrait pas savoir.

Fiodor : Comment peux-tu être si affirmatif ?

Nikolaï : L’absolu ne tue pas ! Seulement l’absolutisme !

Fiodor : Tu penses au tsar ?

Nikolaï : Si ce drap ne recouvrait pas ton visage, tu verrais ses sbires en train de se préparer à nous exécuter.

Fiodor : Le cercle ne courait-il pas à sa perte ?

Nikolaï : À présent, il n’a plus besoin de courir.

Fiodor : Même maintenant tu te moques de la société !

Nikolaï : Plus que jamais ! Désormais, nous savons tous que nous n’avons plus rien à perdre.

Fiodor : Et notre âme?

Nikolaï : Nous verrons en temps voulu, ce qu’il en est.

Fiodor : Mais nous n’avons plus le temps.

Nikolaï : Alors nous lui appartiendrons.

Fiodor : À qui ?

Nikolaï : Au temps !

Fiodor : Que proposes-tu maintenant ?

Nikolaï : Apprends à mourir en homme.

Fiodor : Et si nous ne mourons pas ?

Nikolaï : Ce sera plus difficile. Il faudra apprendre à vivre en homme.

Le peloton d’exécution se met en position.

Fiodor : C’est donc la fin ?

Nikolaï : C’est un autre commencement.

Fiodor : Mais nous n’avons rien fait de mal.

Nikolaï : Notre existence est déjà un mal.

Fiodor : Et notre mort ?

Nikolaï : Une catharsis.

Fiodor : Pas d’alternative ?

Nikolaï : Aucune.

Le peloton d’exécution reçoit l’ordre de tirer.

Ne crains rien.

Silence.

Fiodor : Que se passe-t-il ?

Nikolaï : Même notre mort est une mascarade.

Fiodor : Qu’attendent-ils ?

Nikolaï : Que le ridicule nous tue !

Fiodor : Tu n’es pas sérieux.

Nikolaï : Nous devrions être morts et nous sommes vivants.

Fiodor : Mais pourquoi ?

Nikolaï : Pour que notre mort dure plus longtemps que notre vie.

Fiodor : Que veux-tu dire ?

Nikolaï : En exil, nous mourrons chaque jour.

Fiodor : Alors nous vivrons chaque jour.

Nikolaï : Nous vivrons pour mourir.

Fiodor : Je mourrai pour vivre.

Nikolaï : Comment ?

Fiodor : J’écrirai pour l’humanité.

Nikolaï : Alors écris aussi pour la nôtre !

Les gardes les emmènent.