3259 - La question arméno-juive
N. Lygeros
La question arméno-juive en ce qui concerne la reconnaissance du génocide des Arméniens est tout à fait révélatrice de l’affrontement qui existe entre la diaspora et un état. Le second doit faire face à des problèmes qui ne sont pas nécessairement en étroite relation avec l’éthique tandis que la première peut se cantonner sur une problématique des droits de l’homme. Cette différence de positionnement explique les différences comportementales. Sans dire que la part étatique a toujours tort, nous ne pouvons nous empêcher de constater que l’état ne peut donner la cadence. Ecrasé par le poids des considérations d’ordre logistique, il aborde avec peine les difficultés tactiques et les visions stratégiques dans le cadre de la reconnaissance du génocide sont tout simplement hors de sa portée. La question arméno-juive soulève justement ce problème. Pendant de nombreuses années, même des gens de bonne foi, n’ont cessé de critiquer la position juive sur l’holocauste en expliquant que ce dernier fonctionnait comme un monopole. Même si cette critique est tout simplement indécente, il n’en demeure pas moins qu’elle vient de voler en éclats avec la nouvelle position de la diaspora juive en particulier celle du continent américain. Certes certaines mauvaises langues n’ont pas manqué de souligner que les raisons de ce prétendu revirement, étaient seulement internes. Il sera toujours possible d’effectuer ce genre d’interprétations et d’affirmations. Néanmoins, l’important est ailleurs car même si un acte éthique est accompli pour de mauvaises raisons, le fait est qu’il s’accomplit. De plus, les bonnes raisons ne sont pas nécessairement garantes de la qualité éthique d’une action jugée sur son résultat. Dans tous les cas la diaspora juive a créé une rupture cognitive.
Le deuxième point intéressant dans cette question arméno-juive, c’est le comportement de l’état d’Israël face aux pressions exercées par la Turquie. Cette dernière a toujours misé sur un blocage du processus de reconnaissance du génocide des Arméniens, aux Etats-Unis. Et elle a toujours joué la cause israélienne afin de montrer, aux dupes, qu’elle n’appartenait pas strictement au monde musulman. Malgré tout l’élection de son nouveau président sonne manifestement faux et remet en cause cette propagande de polichinelle. La pression sur l’état d’Israël était attendue. Elle correspond d’ailleurs à celle qu’elle effectue aussi sur l’état d’Arménie. La différence essentielle, c’est que l’état d’Israël a l’habitude de gérer des menaces sur l’intégrité de son territoire aussi les pressions diplomatiques ne l’effraient que très peu. La réponse de l’état d’Israël, était elle aussi attendue. Cette fois nous avons un duo qui crée véritablement un double front pour la Turquie. D’un côté, elle a un état qui joue le rôle du gentil et qu’elle craint militairement parlant. De l’autre côté, elle a une diaspora qui joue le rôle du méchant et qu’elle craint en tant que lobby. La question juive en devenant arméno-juive efface la possibilité d’une approche frontale. La Turquie est désormais obligée de jouer avec les deux composantes et cela ne lui facilite pas la tâche. Aussi elle se contente de mettre en exergue le fait que ce sont des raisons internes qui expliquent ce changement d’approche de la reconnaissance du génocide des Arméniens. Cependant le problème persiste malgré cette affirmation car une fenêtre existe désormais malgré la volonté de fermeture de la Sublime Porte et l’accessibilité est maintenant réelle.