3221 - L’extermination de la lumière
N. Lygeros
Le vieil érudit et la petite fille étaient plongés dans leurs pensées. L’un et l’autre se demandaient comment ils reviendraient de ce voyage dans le néant. Car ils savaient que le chevalier sans armure et ses disciples faisaient face à l’extermination de la lumière. La vieillesse et la jeunesse décidèrent d’un commun accord d’écouter le requiem de Mozart. Car ils ne pouvaient pas imaginer une autre musique pour les circonstances. Le scriptorium fut envahi par cette musique d’initié qui avait transcendé le dogme pour annoncer l’humanité de la pensée de son créateur.
Ils se regardèrent dans les yeux. Ils avaient la même idée. L’un n’avait pas vécu la mort et l’autre avait survécu à la mort. C’était donc à eux d’écrire le livre des vivants et le livre des morts, le livre des justes et les livres des innocents.
Car si le maître du temps et ses disciples devaient lutter, résister et se sacrifier pour les hommes de la lumière, il fallait que le passé et le futur dénonçassent le présent des ténèbres. Ainsi le vieil érudit et la petite fille commencèrent le travail préparatoire de leur oeuvre. Cette somme serait leur condamnation du crime contre l’humanité qu’était en train de commettre la barbarie. Il fallait regrouper les preuves de cette culpabilité. Ils transcriraient chaque élément de cette tragédie afin que le jugement pût se faire et que les innocents pussent revenir à la vie de la mémoire.
Hostias et preces tibi, Domine, laudis offerimus : tu suscipe pro animabus illis quarum hodie memoriam facimus : fac eas, Domine, de morte transire ad vitam.
Ils seraient tous les deux la mémoire du futur, la seule capable d’accuser, de juger et de condamner l’horreur du présent. Ils seraient l’oeuvre écrite du chevalier sans armure et de ses disciples. Leur sacrifice et leur résistance ne seraient pas de vains mots dans l’histoire du peuple des montagnes.
Requiem aeternam dona eis, Domine : et lux perpetua luceat eis.
Ils pleuraient tous les deux comme s’ils avaient compris pour la première fois de leur vie, la souffrance humaine. Ils étaient les témoins du crime et ils seraient les témoins de sa condamnation. Au-delà des larmes des pierres, au-delà de l’extermination de la lumière, ils voyaient déjà la victoire de la mémoire. Avec l’humanité et le temps, ils parviendraient à achever l’oeuvre du chevalier sans armure et de ses disciples. C’était sur cette décision que s’acheva le requiem.