3216 - Les larmes des pierres
N. Lygeros
Personne ne s’intéressait au massacre du siècle précédent. Pourtant tout était mentionné dans la thèse de l’avocat François Surbezy soutenue en 1911. Seulement combien de personnes avaient lu ce doctorat ? Qu’importait, le vieil érudit décida d’approfondir ses connaissances sur les massacres hamidiens. Ils étaient à la base du raisonnement non uniforme du maître du temps. Et il devrait les comprendre s’il voulait l’aider dans sa mission…
– Je ne vous dérange pas ?
C’était Anastasie. Il l’attendait bien tard mais il fut heureux de la voir.
– Non, bien sûr que non.
– Vous lisiez, n’est-ce pas ?
– Je me documentais, répondit-il, car il n’osa parler des massacres hamidiens.
Elle s’approcha de la table de travail. Elle parut reconnaître l’ouvrage.
– Cet avocat est certes descriptif mais son objectivité l’empêche de voir l’horreur de la situation.
Cette phrase s’échappa de la bouche de la petite fille mais elle ne pouvait être d’elle Le vieil érudit ébahi, se contenta de dire :
– Comment ?
– C’est ce que disait mon grand-père de son œuvre.
Cette explication eut le mérite de le réconforter mais le jugement du grand-père ne manqua de le surprendre.
– Quelles sont les sources de ton grand-père ?
– La vie !
– La vie ?
– La vie et la mort.
Décidément, il n’arrivait pas à s’habituer au style d’Anastassia. Il reprit tout de même cette étrange conversation.
– Ton grand-père a vu de ses yeux les massacres hamidiens?
– Il a vu disparaître toute sa famille
– Il était donc là-bas…
Que pouvait-il dire de plus. Il voulait lui cacher ses recherches de peur de la blesser et il se rendait compte qu’il s’agissait de la descendante d’un survivant. Mais l’âge du grand-père… Cela ne correspondait pas…
– Les larmes des pierres.
– Qu’est-ce ?
– Un poème de mon grand-père.
– De quand date-t-il ?
– De 1894. Il l’écrivit juste avant sa mort.
Cette dernière phrase tomba comme un couperet sur les pensées du vieil érudit. Cette petite fille avait un passé imprévisible. Alors que dire de son avenir ?