2957 - Sur le partitionnement artificiel du génocide
N. Lygeros
La recherche des responsables d’un génocide incite parfois les victimes ou plutôt les survivants à adopter des stratégies inefficaces en raison de leur exaspération devant la lenteur des condamnations. Une de ces stratégies inefficaces consiste à partitionner le génocide de manière à affecter un coefficient à chaque partie afin de mettre en avant le pire des bourreaux. L’inconvénient de cette approche, c’est qu’elle décontextualise la partie de l’ensemble du génocide. Ses partisans répondront sans doute que seule cette partie constitue le véritable génocide sans se rendre compte que de cette manière, la notion de génocide dégénère. Pourtant la problématique et la méthodologie de Staton existent. Les huit phases d’un processus génocidaire permettent de mieux appréhender ce crime contre l’humanité mais aussi d’exploiter ses caractéristiques pour sa reconnaissance. Nous avons à traiter un problème holistique aussi toute méthodologie réductionniste est vouée à l’échec, et ce, par définition. Un autre inconvénient de la méthode de partitionnement du génocide, c’est de laisser croire ses tenants qu’une approche globale diminuerait le rôle et l’impact de chacun. Or c’est précisément cette technique qui est exploitée par des fanatiques de l’oubli lorsqu’ils veulent nier l’existence du génocide. Ils se contentent d’appliquer plus en profondeur cette méthode de manière à obtenir un partitionnement plus fin. Ainsi le coefficient de chacun de ses responsables de ce crime contre l’humanité est tellement minime qu’il ne permet pas l’établissement d’un acte d’accusation. Aussi les responsables ne sont plus coupables. Un génocide ne peut être partitionné. C’est un processus global car il est analogue à ce que nous nommons en stratégie une guerre totale. Bien sûr, il ne s’effectue pas dans les mêmes conditions mais il a essentiellement le même but. Il est la résultante d’un ensemble de dispositifs qui vont tous dans le même sens, à savoir la destruction systématique d’un peuple. Seulement, il ne faut pas se leurrer, cette destruction ne vise pas seulement les hommes, mais aussi leur mémoire et plus généralement tout ce qui représente leur culture. Nous devons donc être plus attentifs au moindre signe qui annonce des tentatives qui vont dans le sens de cette horrible entreprise. La réduire simplement à la phase de l’élimination ne permet ni de la comprendre, ni de lutter efficacement contre elle quant au problème de la reconnaissance. Enfin, le dernier problème du partitionnement artificiel du génocide, c’est de remettre en question la possibilité même d’une pénalisation car le spectre de cette dernière est si restreint par cette approche qu’il en perd sa valeur intrinsèque. Et ceci le transforme non seulement en un outil inefficace mais surtout en un outil qui n’a pas lieu d’être. Or nous savons combien la pénalisation est une étape importante dans le processus de réparation qui est la seule réponse à l’ampleur du génocide. Remettre en cause la validité et l’efficacité de la pénalisation revient à remettre en cause l’ensemble du processus de réparation. Il ne s’agit donc pas d’une simple erreur méthodologique que de partitionner le génocide mais d’une véritable erreur stratégique qui a des conséquences sur l’ensemble de la lutte des guerriers de la paix.