2709 - Holodomor et techniques staliniennes
N. Lygeros
La compréhension du Holodomor ne provient pas uniquement de la phase d’élimination. En effet il est nécessaire de saisir l’ensemble du processus. Malgré les résistances de certains à accepter la réalité du génocide des Ukrainiens, l’appareil stalinien a laissé de nombreuses traces dans sa bureaucratie. En examinant certains documents comme la circulaire de l’OGPU n° 50062 sur les mesures à prendre pour déporter un million d’individus au Kazakhstan, nous pouvons mesurer l’ampleur du dispositif mis en place. Le chef adjoint de l’OGPU, Iagoda, s’exprime en termes très clairs. Il parle d’un million d’individus comme s’il s’agissait d’un simple transport de marchandise. Il emploie le terme prétendument neutre de contingent mais le rôle de ce dernier est clairement défini. Il en parle comme d’une propriété privée. Il considère l’OGPU comme le seul maître d’œuvre et c’est pour cela que ce contingent n’est pas mis à la disposition de l’industrie. Pour lui, ce million d’hommes n’est qu’une machine économique qui est censée assurer un rendement effectif. Il donne même le délai maximal de deux ans qui permettra de dégager l’Etat de tout approvisionnement de ce contingent. Ce dernier est exclusivement consacré au travail de l’agriculture, de la pêcherie et de l’artisanat. Or il est inconcevable dans le domaine de l’agriculture et de la pêche de prévoir avec certitude le rendement puisque les conditions climatiques représentent un facteur limitant dans l’évolution de ce dernier. Cependant le Chef adjoint de l’OGPU précise dans sa circulaire que les déportés devront être en mesure de dégager une production commercialisable. Il ne s’agit donc pas seulement d’avoir une structure indépendante mais capable de produire des bénéfices. Il est difficile de ne pas voir dans ces contraintes des caractéristiques d’une vision paradoxalement capitaliste. Le moyen pour aboutir à cet objectif c’est la mise en place des sovkhozes céréaliers, d’énergie et de productions de légumes. Ce qui et intéressant c’est que dans l’année 1933 alors que le processus commence déjà en 1932, le Chef adjoint de l’OGPU demande à ce que le plan de cette culture pour le contingent déjà installé, soit modifié. Il insiste sur le fait que les surfaces consacrées aux légumes, pommes de terre, céréales, plantes fourragères devront être fortement augmentées. Nous en déduisons que les rendements étaient déjà insuffisants. Aussi le nouveau contingent a un rôle à jouer qui est basé sur les nouvelles données de l’époque. Cela ne fait qu’augmenter la précision sur le rendement. En réalité, même si les conditions sont modifiées, les exigences demeurent les mêmes. Nous voyons dans cette circulaire de nombreux éléments qui caractérisent une position inflexible qui ne peut conduire qu’à une catastrophe dans le meilleur des cas et à un génocide dans le pire des cas. La mise en place de ce décor absolu ne peut être interprétée comme une simple erreur d’estimation. Les contraintes étaient calculées pour être irréalisables même si les Ukrainiens devaient se tuer à la tâche.
Circulaire de l’OGPU n° 50 062 sur les mesures à prendre pour déporter un million d’individus au Kazakhstan
7 février 1933
Pour Karoutski, R. P. du Guépéou du Kazakhstan, Alma-Ata
Pour Bak, Département régional de l’OGPU, Petropavlovsk (copie)
Au cours de l’hiver-printemps de cette année, il est prévu d’installer un nouveau contingent d’environ un million d’individus dans le Kazakhstan méridional et dans le Kazakhstan central (en particulier dans le district d’Atabasar et autour du lac Teniz). Ce contingent, qui travaillera dans l’agriculture, les pêcheries et l’artisanat, ne sera pas mis à la disposition de l’industrie. L’OGPU est le seul maître d’oeuvre en ce qui concerne l’exploitation économique de ce contingent. Le plan d’exploitation prévoit que l’État devra être totalement dégagé de tout approvisionnement de ce contingent dans un délai maximal d’un à deux ans. À l’expiration de ce délai, les déportés devront être en mesure de dégager une production commercialisable. Dans ce but, il sera organisé des sovkhozes céréaliers, d’élevage et de production de légumes. Concernant le contingent déjà installé, le plan de culture pour 1933 devra être modifié ; les surfaces consacrées aux légumes, pomme de terre, céréales, plantes fourragères devront être fortement augmentées. […]
Le Chef-adjoint de l’OGPU, Iagoda