2655 - De l’absence de combat au combat de la perte
N. Lygeros
Cela est surprenant mais parfois l’absence de combat est pire qu’une perte. L’absence de conflit ne permet ni de gagner ni de perdre le conflit mais peut conduire à la perte d’identité. Ainsi les premières révolutions, celles qui sont vouées à l’échec, malgré la perte qu’elles représentent préparent le terrain des suivantes qui seront victorieuses. Il est certes nécessaire d’avoir des hommes prêts à se sacrifier mais si c’est le cas l’objectif de la préparation peut être mené à bien malgré la puissance de l’adversaire. Pour comprendre ce phénomène il est nécessaire de mettre l’accent sur le fait que le combat même s’il mène à la perte est une remise en cause de la suprématie. C’est pour cette raison que celui qui domine, s’il n’a pas de stratégie gagnante doit d’autant plus vaincre qu’il a plus à perdre. L’absence de conflit conduit presque inéluctablement à l’occupation d’un état de fait qui est bien pire que celui d’une perte. L’absence de conflit stabilise les positions du dominant et le dominé pense que la situation ne peut changer. Le problème c’est que la conséquence de cette absence n’engendre pas seulement un dogme stratégique dominant mais aussi un traumatisme psychologique. La crainte de l’échec conduit des individus à considérer que la position de dominé est une situation normale. Et cette normalité conduit à considérer sa propre personne comme le résultat de cet état de fait. Tandis que si nous nous souvenons de la pensée stoïcienne et en particulier de la célèbre phrase d’Epictète à savoir : « Considère-toi comme un homme libre ou comme un esclave cela ne dépend que de toi », alors nous comprenons qu’il existe un schéma mental qui remet en cause le système du dominant. Le problème intrinsèque à cette situation, c’est que la position de l’esclave est malgré les apparences, bien plus confortable à tenir. En effet aucune initiative n’est nécessaire. Tout est laissé au dominant. Tandis que la position de l’homme libre représente un coût puisqu’il doit choisir son destin et que chaque choix est une forme de privation. De manière plus générale, nous devons être conscients qu’une terre n’est perdue face à un envahisseur que si nous décidons nous-mêmes qu’elle est perdue. Cette perte ne dépend elle aussi que de nous. Ainsi nous avons le devoir de décider qu’une terre considérée comme perdue par certains n’est en réalité qu’une terre occupée. Nous pouvons trouver des exemples de ce type en Grèce mais aussi à Chypre. Cependant le plus bel exemple se trouve en Arménie. Et ce mot suffit à lui-même. Nous ne parlons ni d’Arménie occidentale, ni d’Arménie orientale pas plus que d’Arménie historique. La réalité mentale de l’Arménie est une et indivisible. Elle est reliée au génocide mais pas seulement. Certes le génocide permet de définir par l’absence et par le lieu du décès des victimes ainsi que des déplacements, la réalité effective de l’Arménie. Seulement cette réalité est gênante car elle conteste le dogme stratégique turc. Aussi certains préfèrent mener le combat de la perte et considère qu’il n’est pas nécessaire de revendiquer ce qu’ils considèrent comme impossible à obtenir. Néanmoins les revendications se feront, les recours entreront dans l’histoire car sans cela la notion d’arménité n’aurait pas de sens.