1961 - La réalité de la fiction
N. Lygeros
« Je sais qu’en véritable ami tu seras attristé de mon malheur, de même que moi dans mes lettres, je t’ai témoigné de ma joie pour ton heureux sort… ». Leonardo da Vinci.
Je sais que lorsque tu liras cette citation, tu penseras derechef qu’elle appartient aux récits apocryphes de Leonardo da Vinci. Mais là n’est pas mon but. Je ne souhaite te parler que de la réalité de la fiction, de la valeur du sentiment malgré le contexte de la commande. Comme il est possible d’écrire une pièce de théâtre à la suite d’une commande et de la créer en y mettant toute sa passion. Je ne conçois pas l’Őuvre sans la valeur de la pensée. Et la fiction nous permet de dire haut et fort ce que les gens pensent tout bas. Il ne s’agit pas pour autant de véritable confession car dans le fond nous ne voyons le lecteur que comme un alter ego, sans doute moins égoïste que nous et certainement plus patient afin de nous lire malgré les tourments et les affres que nous provoquons à son esprit lorsqu’il pénètre dans notre univers mental. De plus, n’oublie pas combien les mythes sont plus réels que l’histoire elle-même. Alors pourquoi perdre du temps à chercher les détails de la réalité lorsque toute la fiction ne parle que d’elle ou de celle à venir car parfois la différence n’est que temporelle. Relis la phrase de Leonardo da Vinci sans la placer dans un contexte historique, sans te restreindre la vision et dis moi ce que tu penses réellement et sincèrement. Ne vois-tu pas l’humanité de son propos. Ne vois-tu pas la délicatesse de ses sentiments ? Et même, la tendresse de la tristesse. A travers son émotion et ses quelques mots, ne ressens-tu pas l’âme de l’ami, de l’être qui ne sait que partager car il ne peut attendre d’être aimé ? Ne discernes-tu pas sa volonté de cacher sa douleur dans la joie de l’amitié ? Quelles seraient nos pensées dans ces circonstances? Auraient-elles la même retenue ? Déchirés par le sort, survivants dans la nécessité, n’avions-nous pas honte de demander de l’aide ? Comme si le désarroi ne suffisait pas ? Pourtant Leonardo da Vinci en quelques mots conclut son récit de manière surprenante. Car il interroge son ami et non son lecteur. Car il écrit à celui qui aurait dû être et qui ne l’est pas. Car il écrit à ce que nous devrions être : des êtres plus humains malgré la fiction de la réalité. Car nous ne sommes que la réalité de la fiction.